Entretien avec Trevor Goring, storyboard artist
Article Cinéma du Mardi 03 Juin 2008

Il n’y a pas que les scénaristes qui créent les histoires de nos films préférés. Les artistes de storyboard ont aussi leur mot à dire. Véritable lien entre le script et le tournage, le storyboard ne fait pas que transcrire l’histoire de façon visuelle. Il apporte une véritable lecture du scénario et peut tout aussi bien proposer des développements inédits, si tant est que le storyboarder bénéficie d’une certaine liberté et d’une certaine créativité ! C’est bien le cas de Trevor Goring, storyboard artist et illustrateur bien connu dans la profession, qui a travaillé tout récemment sur les deux Benjamin Gates, mais également sur d’autres superproductions comme Independence Day, Mission : Impossible II, The Ring et Dragon Rouge.
Pour ESI, il revient sur sa participation au premier chapitre du Monde de Narnia: Le Lion, La Sorcière Blanche et l'Armoire Magique, storyboards et dessins préparatoires à l'appui!


Comment un étudiant anglais en arts graphiques est-il devenu l’un des principaux artistes de storyboard et illustrateur d’Hollywood ?

C’est une longue histoire ! Ma carrière américaine a débuté effectivement quand je suis arrivé à Los Angeles en 1991, mais j’avais déjà une expérience cinématographique dans la mesure où je venais du monde de la publicité, à Londres, où j’ai travaillé dans ce domaine pendant 12 ans. Il faut savoir que lorsqu’une agence de publicité présente un projet à ses clients, elle le fait à partir de storyboards. Auparavant, je suis allé au Collège en Arts à Londres. Mon intention première n’a jamais été de faire du storyboard. Je souhaitais plutôt devenir dessinateur de BD car j’ai grandi en lisant des comics américains et européens.

Comme Tintin !

Absolument. Tintin est la première BD que j’ai lue, et plus précisément Le Trésor de Rackham Le Rouge. A l’époque, j’étais à mille lieues d’imaginer qu’ils en feraient un film. D’ailleurs, j’adorerais y participer, mais je crois qu’ils vont le produire en Nouvelle-Zélande. Je pense que la BD est une façon de raconter les histoires qui, pour moi, a rendu la transition naturelle vers le storyboard. Je n’avais jamais songé à retranscrire mes idées sous cette forme avant que je découvre l’œuvre de Mentor Huebner et de Sherman Labby, deux grands artistes de storyboard qui ont tous les deux travaillé sur Blade Runner. Et puis, il y a le fait que, pendant que je travaillais dans la publicité, j’ai collaboré avec différents réalisateurs parmi lesquels Martin Campbell, le metteur en scène des deux Zorro.

Votre progression aux Etats-Unis a été fulgurante !

Quand je suis arrivé à Los Angeles, j’ai continué à faire de la publicité, mais j’ai aussi participé à mon premier film, Cobb, juste avant de faire Independence Day, ce qui m’a ouvert pas mal de portes. J’ai alors rejoint le syndicat des artistes de storyboard, car c’est une condition essentielle pour pouvoir travailler avec les grands studios. A partir de là, j’ai fait trois-quatre films par an.

Quelle technique utilisez-vous pour dessiner vos storyboards ?

Pour le moment, je reste fidèle au papier et au crayon car il faut se donner un peu de temps pour maîtriser le Cintiq. En fait, au départ, je réalise souvent mes dessins à la peinture et à l’encre avant de reproduire les contours sur un autre papier en bleu (blue line), puis lorsque le dessin me convient, je repasse au crayon noir. Parfois, quand j’ai le temps, je rajoute aussi quelques touches au marqueur. Mais quand je suis pressé par le temps, je commence directement par le bleu. Tout dépend des délais qui vous sont demandés. Ceci dit, je trouve que le Cintiq est un outil fantastique. Il offre toutes sortes de possibilités de traitement de l’image. J’espère me trouver du temps prochainement pour pouvoir m’y familiariser...
Le Cintiq est un ordinateur à écran tactile. On utilise un stylet pour dessiner dessus. Extrêmement précis -de l'ordre du pixel-. il permet de dessiner directement dessus, mais en même temps de travailler sur les dessins, de les monter, de les animer, de leur donner de la profondeur de champ en différenciant les plans, etc. Ils ont commencé à travailler dessus chez Pixar. Cela évite de passer par le monteur et de refaire tout en tas de dessins similaires dans les dialogues ou autres, et donne au contraire une vision précise des futurs mouvements de caméra et de l'ambiance d'une scène.

Vous avez participé à de nombreux blockbusters dont Le Monde de Narnia. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Un jour mon agent m’a appelé pour me proposer un projet de film dans le genre « fantasy ». A l’époque où j’ai rencontré Andrew Adamson, je ne savais même pas qu’il s’agissait de Narnia. Et pourtant, le livre m’a accompagné pendant mon adolescence, à la même époque où j’ai lu Le Seigneur des Anneaux. Je suis arrivé très tôt sur cette production. A cette époque, c’est Grant Major qui était le production designer. Il avait fait Le Seigneur des Anneaux, puis il a quitté Narnia pour travailler sur King Kong. Andrew nous a laissé libres d’explorer différentes idées et nous avons réalisé toutes sortes de key frames et autres illustrations avant de nous lancer dans le storyboard. Andrew a vraiment tenu à ce que tout le film soit storyboardé et ce sont nos dessins qu’il a fait monter et par dessus lesquels il a fait enregistrer les voix des différents personnages pour constituer une version complète du film en storyboard, un « storyboard reel ». Tout cela devait être fait avant le tournage, pour savoir exactement ce qui devait être fait car c’était un film extrêmement cher et tout devait être soigneusement préparé pour ne pas perdre de temps. En ce moment, je suis au milieu de la production de l'Odyssée du Passeur d’Aurore (Narnia 3). J’y travaille depuis l’année dernière, avec une pause depuis mi-décembre, au moment où la grève des auteurs a mis toute la production au point mort, mais nous espérons repartir en mars. Pour ce troisième film, ce sera un autre réalisateur, Michael Apted.



J’ai été particulièrement impressionné par votre concept art du château de la Sorcière Blanche !

Je suis heureux que vous l’ayez remarqué ! Je l’adore, moi aussi ! C’est d’autant plus regrettable que dans le film il n’y ait qu’un seul plan sur cet extérieur ! Je dois dire que nous avons dessiné à peu près une centaine de versions différentes de ce château et je suis très satisfait de la mienne ! J’aime tout particulièrement le dessin que j’en ai fait en noir et blanc. C’est une technique que j’avais déjà abordée sur Final Fantasy : The Spirit Within. Je fais d’abord une esquisse dont je fais un négatif à la photocopieuse. De cette manière, toutes mes traits deviennent blancs et je peins à la gouache par dessus. Puis je refais une photocopie sur laquelle j’ajoute la couleur. J’ai un excellent souvenir de Final Fantasy. En fait, nous étions huit artistes de storyboard, et ils nous ont tous amenés à Hawaï pour travailler là-bas !

Comment se fait-il que vous n’ayez pas travailler sur Prince Caspian, le deuxième chapitre de la saga du Monde de Narnia ?

Je n’ai pas pu car à cette époque, j’étais en Australie pour L’Âge de Cristal avec Brian Singer. Comme vous le savez, le projet a été mis en suspens et c’est quelqu’un d’autre qui doit le réaliser. En ce qui nous concerne, nous étions quatre à travailler sur la prévisualisation du film, dont nous avons réalisé 35 minutes. C’était fantastique ! Il y avait là le même production designer que pour Superman Returns, Guy Dyas (qui a aussi travaillé sur le dernier Indiana Jones). Mais cela aurait coûté trop cher. C’est la raison pour laquelle le projet n’est pas allé au bout.

Sur quoi travaillez-vous actuellement?

J'ai commencé une version en prises de vue réelles d'Akira pour Warner Brothers. Là aussi, il y a eu un problème au niveau de l'histoire et il a fallu la réécrire. Sinon, je pense travailler sur un film d'horreur en 3D qui devrait être tourné par une nouveau studio qui est en train d'être construit en Espagne…

[La création de Narnia : Entretien avec Richard Taylor (WETA)]


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