Tron L’héritage : Entretien exclusif avec Daniel Simon, designer des véhicules - Seconde partie
Article Cinéma du Vendredi 04 Fevrier 2011

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau



Vous êtes-vous inspiré de certaines formes animales quand vous avez dessiné certains véhicules ?

Pas particulièrement. Pour être franc, je crois que je pourrais trouver des idées simplement en observant les objets qui se trouvent dans ce bureau, autour de nous. Quand on est designer, on évolue dans le monde en le regardant toujours d’une manière particulière. Certaines personnes ont un sens de l’odorat très poussé, d’autres sont capables de reconnaître des sons infimes, nous, nous analysons constamment les formes, les textures, les couleurs, les ombres et les reflets. Il m’est souvent arrivé d’avoir une idée simplement en regardant une ombre jouer sur le volume d’un mur ou d’un meuble. Idem pour les déformations d’un éclairage se reflétant sur une surface, ou dessinant des formes sur un plafond. Nous nous inspirons rarement d’un objet ou d’un animal complet. Notre perception est plus abstraite, plus ponctuelle. Nous transposons tout le temps…ce qui peut quelquefois nous pousser à agir d’une manière bizarre, surtout quand les gens qui nous entourent nous observent. Combien de fois m’a t’on dit « Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu as l’air tout bizarre ! »  parce que j’étais complètement absorbé par un détail que j’avais remarqué et auquel personne d’autre ne prêtait attention ! (rires)

Compte tenu de tout cela, combien de temps vous a t’il fallu pour obtenir le design définitif des lightcycles ?

Depuis le premier jour jusqu’à la présentation du modèle construit en dur au Comicon, je dirai que j’ai travaillé plus d’un an sur les lightcycles.

Vous avez conçu l’apparence extérieure des véhicules, mais ces engins sont animés en 3D pendant les séquences du film. Jusqu’à quel point avez-vous du en imaginer et en représenter le fonctionnement mécanique, comme les amortisseurs des roues, les axes de transmission, les volants, guidons, gadgets, armes, etc ?

Il a fallu que je conçoive aussi tous les détails de ces parties mécaniques. Pour reprendre l’exemple de la moto, je savais que Garrett Hedlund allait se retrouver dessus. Il fallait que je sache où allait se trouver ses mains et sa tête quant il serait en position de conduite. Il fallait aussi que son casque soit connecté par l’arrière au corps de la moto. Pour être sûr que l’engin serait parfaitement adapté à l’acteur, nous avons utilisé un scan 3D du corps de Garrett, et aussi des bonnes vieilles méthodes de système D, comme des mesures de l’avant-bras de l’acteur avec un mètre ruban ! Pour revenir à la moto, elle utilise des aérofreins pour ralentir. Il fallait donc concevoir des sortes de gonds qui permettent à ces aérofreins de se déployer. Les poignées de la moto sont également ajustables en hauteur, parce que nous voulions que les spectateurs comprennent en un clin d’œil que ces engins sont des merveilles d’ingénierie.

Donc, pendant la création de ces engins, vous avez également conçu leurs mécanismes internes…

Oui. Et c’était assez épuisant à faire, car en plus du lightcycles, il y a beaucoup d’autres véhicules dont il fallait concevoir les parties mécaniques internes. Je peux vous dire que beaucoup de week ends ont été sacrifiés afin que je puisse remettre ce travail à temps.

Revenons aux engins dont vous avez le droit de nous parler…Il y a donc le nouveau lightcycle, l’ancienne version proche du design de Syd Mead, les voitures et le tank…

En ce qui concerne le lightcycle conçu par Syd Mead pour le film de 1982, nous voulions en faire une moto capable d’impressionner les jeunes spectateurs d’aujourd’hui qui n’ont pas vu Tron  , tout en faisant plaisir aux fans, car ils reconnaîtront le modèle du film original. Bien entendu, nous ne pouvions pas reproduire exactement l’aspect du modèle de 1982, car il aurait semblé venir d’un autre univers. Comparé à ce que nous pouvons faire aujourd’hui, ses textures et ses formes auraient paru beaucoup trop simples. Nous avons dû le redéfinir, et modifier légèrement certaines surfaces et certains angles de ses volumes. Mais quand vous le regardez en plissant un peu les yeux, vous reconnaissez tout de suite la création de Syd Mead.

Connaissez-vous personnellement Syd Mead ?

Oui, Syd est un ami et un artiste que j’admire énormément. Travailler sur son design original, c’était un peu comme si j’étais dans un groupe de rock, et que l’on me demande de réinterpréter une des chansons cultes de mon idole.

Comment Syd Mead a-t’il réagi à la création d’un nouveau Tron  ?

Nous n’en avons pas beaucoup parlé. Tron  a représenté un des projets importants de sa vie. Je lui ai montré le design du nouveau Lightcycle et il l’a beaucoup aimé. Il a notamment apprécié que ce concept rejoigne ses premières approches des motos, avec le pilote apparent. Mais quant nous nous voyons, ce n’est pas de cela dont nous parlons. Nous évoquons le futur, les nouvelles technologies, les nouvelles approches de design, et c’est tout à fait passionnant. D’ailleurs, je travaille actuellement sur la nouvelle version d’un autre projet auquel Syd avait collaboré…

Lequel ?

Les deux préquelles d’Alien, que prépare Ridley Scott. J’ai travaillé pendant cinq semaines sur des recherches conceptuelles avec Ridley, et je me disais que c’était assez fou que j’aie ainsi l’occasion de suivre à nouveau les traces de Syd Mead. Mais c’est normal, car Syd a influencé par son travail tellement de films qui nous ont marqués.

Vous avez aussi redessiné le tank du premier Tron   …

Oui. Nous avons conservé la forme triangulaire de la tourelle du tank, dont les spectateurs se rappellent, mais nous l’avons articulée différemment, pour lui permettre de faire plus de choses. A l’heure actuelle, je ne sais pas si on le verra beaucoup ou très peu dans le film, car l’histoire peut encore évoluer.

Il y a aussi le véhicule volant qui s’appelle le recognizer, apparu aussi dans le Tron   de 1982…

Oui, mais ce n’est pas moi, mais Ben Procter qui l’a réinterprété. Je crois d’ailleurs qu’il avait achevé ce nouveau design avant que je sois engagé pour travailler sur Tron L’héritage 

Venons-en aux voitures…

Les voitures m’ont posé beaucoup de problèmes, parce que le script disait plus ou moins que ces véhicules avaient au départ des allures de formule 1, et se métamorphosaient en sortes de jeeps ! Or, on ne peut pas imaginer designs de voitures plus différents que ces deux extrêmes-là ! (rires) A moins de montrer les voitures se démonter et se réassembler par magie, comme dans Transformers, comment résoudre un tel problème ? Nous avons convenu de transformer à vue seulement la suspension et les roues, tout en imposant des lignes élégantes et aérodynamiques, communes aux deux modèles. Il a fallu relever de défi, tout en arrivant à un modèle qui semble robuste et tout terrain dans l’étape « jeep ». C’est sans doute le travail de design le plus complexe que j’aie eu à faire jusqu’à présent.

Une fois que les designs de ces différents véhicules ont été établis et validés par Joseph Kosinski, avez-vous apporté des petites modifications à vos créations, au début de l’animation 3D des véhicules ?

Oh oui, c’était indispensable, car ce processus de design est organiquement lié à l’animation, tout comme la conception virtuelle d’une vraie voiture évolue lors de la fabrication et des tests du premier prototype. Dans le cas particulier d’un véhicule de film, il y a aussi des modifications qui sont entraînées par des changements d’axes de plan. Par exemple, en découvrant un des nouveaux animatiques conçus par Joseph, je me suis rendu compte qu’il allait se rapprocher encore plus du sol pour filmer une voiture en contre-plongée. Du coup, on allait voir encore plus profondément ce qui se passe sous les jantes, au niveau de la suspension. Il m’a fallu ajouter en 3D les nouveaux éléments révélés ainsi. Je me suis également rendu compte à la dernière minute que les tableaux de bord, que l’on ne devait pas voir initialement, allaient être cadrés sur toute la largeur de l’écran lors d’une scène de dialogue entre les personnages principaux. Je peux vous assurer que l’on panique un peu dans ces cas-là, car il faut réagir très très vite ! Habituellement, je suis plutôt confronté à l’inverse : beaucoup de choses que j’ai modélisées dans les moindres détails ne sont pas montrées dans le film. Dans Tron L’héritage , on voit tout, et même plus !

Avez-vous été obligé de tenir compte d’autres changements de mise en scène ?

Oui. Notamment pendant une nouvelle scène où l’on voit une des voiture rouler au bord d’un précipice. De la manière dont ses suspensions étaient conçus, et vu les amplitudes des reliefs de terrain, le véhicule n’aurait pas pu rouler là. Dans la réalité, il se serait disloqué. Il a fallu que je reprenne ma trousse de mécanicien virtuel, et que je crée de nouveaux mécanismes !

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