Tron L’héritage : Entretien exclusif avec Christine Bieselin Clark, co-créatrice des costumes spéciaux
Article Cinéma du Mercredi 09 Fevrier 2011

Christine Bieselin Clark a l’habitude d’habiller les héros du cinéma fantastique, puisqu’elle a participé récemment, en tant qu’assistante à la création des costumes, à Sky High (Mike Mitchell – 2005), 300 (Zack Snyder – 2006), Watchmen (Zack Snyder – 2009) et X-Men origines : Wolverine (Gavin Hood – 2009). Tron l’héritage est la première superproduction dont elle conçoit les tenues en tant que co-créatrice, en association avec Michael Wilkinson.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez conçu les costumes de Tron L’héritage , et comment ils ont été construits, étape par étape ?

Volontiers. Le design des costumes et le processus de fabrication ont été étroitement mêlés, à toutes les étapes de notre travail. Cela tient au fait que la conception a été réalisée sur ordinateur, et que cette modélisation en 3D nous a permis d’utiliser plusieurs procédés pour fabriquer directement les costumes à partir de ces données. Nous avons entamé nos recherches graphiques de manière traditionnelle, avec des esquisses au crayon et au feutre sur papier. Nous sommes passés ensuite à la palette graphique et à Photoshop, pour synthétiser les éléments et les idées qui nous plaisaient le plus. Tout cela a été un travail d’équipe, réalisé conjointement par le département des costumes et celui des concepts artistiques. Nous avons travaillé tous ensemble afin de créer un design du monde de Tron L’héritage qui soit parfaitement cohérent, des véhicules aux costumes en passant par les accessoires et les décors. Tout fonctionne selon les mêmes principes visuels. J’ajoute que les modélisations 3D des costumes ont été réalisées à partir des scans 3D des corps de chaque acteur, afin que leurs tenues leur aillent vraiment comme un gant.

Travailliez-vous tous dans le même endroit ?

Oui, nous étions réunis au cinquième étage du bâtiment principal des studios Disney. Cela a facilité énormément le processus de travail, car il me suffisait de marcher quelques minutes pour aller montrer ce que nous venions de créer à mes collègues. Je précise que j’ai travaillé pendant toute cette première partie de la conception artistique avec Michael Wilkinson, dont j’ai été la collaboratrice durant de nombreuses années. Nous nous sommes lancés dans ce projet en compagnie des autres designers, mais en utilisant des outils tout nouveaux pour nous : les logiciels Z Brush, Modo, et Maya. C’est ainsi que nous avons créé les premiers modèles de costumes.

Vous avez donc du apprendre à utiliser ces logiciels tout en créant vos modèles ?

Pour ma part, j’ai appris seulement les bases de ces logiciels, mais j’ai pris la précaution de m’entourer de gens qui étaient capables de les manipuler avec une maestria confondante ! (rires) Nous expliquions ce que nous voulions obtenir à ces artistes, et ils se chargeaient de transposer nos concepts en 3D. Le défi que nous devions relever consistait à créer les costumes de nombreux personnages en même temps. Pour y parvenir, Michael et moi nous sommes occupés de superviser le travail de chacun des artistes qui faisait des recherches sur un groupe de personnages spécifiques. Nous leur donnions des indications, ou leur demandions des corrections qui étaient appliquées par la suite. C’est en procédant ainsi que nous sommes parvenus à livrer tous ces designs dans les délais fixés, afin de pouvoir lancer l’étape de fabrication. Ensuite, nous avons utilisé les fichiers 3D réalisés avec Z Brush pour faire des tirages en résine de ces personnages, grâce au procédé de stéréolithographie. Les statuettes que nous obtenions mesuraient 30 cm. Elles nous ont permis d’observer nos concepts de costumes sous toutes les coutures, et d’effectuer des corrections supplémentaires quand c’était nécessaire. A cette étape, nous ne disposions que de statuettes qui ne pouvaient pas servir directement à la réalisation des tenues. Pour passer à l’étape de fabrication des costumes eux-mêmes, il a fallu séparer le volume 3D extérieur de la tenue du volume 3D du corps de l’acteur.

Les statuettes dont vous parlez étaient-elles tirées en résine translucide, de manière à être recouverte de peinture noire, puis éclairées par le dessous pour faire briller les bandes lumineuses au travers de la matière ?

Les premières statuettes étaient tirées dans une résine polyester opaque bleue ou grise pour des questions de coût. Cependant, nous avons fait faire un tirage en résine translucide, plus chère, avec des LEDs incluses dans la matière, que nous avons peint de la manière que vous décrivez, afin d’obtenir une maquette de démonstration, éclairée de l’intérieur. Mais cela a été fait après le tournage, en vue de présenter les premières images du film.

Comment avez-vous procédé pour fabriquer les costumes, après l’étape des statuettes ?

Nous nous sommes servis des fichiers 3D pour faire des tirages grandeur nature, en utilisant un autre procédé, qui consiste à faire piloter par ordinateur un forêt qui usine un bloc de mousse de polyuréthane de haute densité. Ce processus est appelé Computer numerical Cutting ou CNC. Il faut d’abord choisir un bloc de mousse qui corresponde à la taille de la partie du costume que nous désirions reproduire en volume. Je vais prendre l’exemple de la fabrication du costume de notre héros, Sam Flynn, incarné par Garrett Hedlund. Pour des raisons techniques liées au format maximal de bloc de mousse qui pouvait être utilisé par la machine, nous étions contraints de procéder en deux parties, et de séparer le torse des jambes. Donc, dans le cas du torse, le forêt dirigé par ordinateur creusait la mousse, qui est très dure et très lourde, jusqu’au moment où il avait reconstitué tout le volume, y compris dans ses détails les plus fins.

Le déplacement du forêt devait certainement générer des imperfections en surface…

Effectivement. Les surfaces lisses ne l’étaient pas vraiment, car on pouvait voir tous les petits sillons créés par les passages successifs du forêt. Une fois le modèle terminé, il fallait employer des artistes issus de l’industrie automobile, qui ont l’habitude de peaufiner des maquettes de voitures obtenues de la même manière. Ils ont utilisé des outils pour poncer à la main tous les sillons indésirables et toutes les scories. Il leur a fallu aussi affiner les rebords des volumes, les angles droits, etc. Après avoir effectué ce travail minutieux, ils ont recouvert le tirage d’une couche de résine dure, pour obtenir des volumes parfaitement lisses, à la finition impeccable. Cette étape de fabrication était si minutieuse qu’elle nécessitait deux semaines de travail par tirage de costume.

Il fallait passer ensuite à l’étape du moulage négatif, puisque vous ne disposiez alors que d’un volume positif…

Exactement. Nous avons fabriqué des moules en silicone à partir de ce positif, puis nous avons fait un tirage CNC du torse de Garrett Hedlund, qui avait été scanné en 3D des pieds à la tête. Comme l’autre tirage, il a été « nettoyé » en surface, puis enduit de résine pour obtenir un rendu parfait. Le moulage positif du torse de Garrett était placé entre les deux parties du moule négatif du costume. Si vous vous représentez cette disposition, vous vous rendez compte qu’une fois le moule négatif fermé sur le moulage positif du torse, l’espace vide restant à l’intérieur correspondait exactement au volume du futur costume. A cette étape, nous injections alors de la mousse de latex teinte en noir dans les moules. Elle était cuite ensuite pour nous permettre d’obtenir un costume. Mais avant l’injection, il fallait disposer tous les fils électriques qui allaient permettre d’alimenter les bandes lumineuses des costumes, afin que ce réseau soit englobé dans la mousse.

La mise au point de la formule de la mousse a du être compliquée : compte tenu de toutes les acrobaties que les acteurs devaient faire, il fallait certainement qu’elle soit à la fois très souple, tout en étant très résistante…

Oui, et ces deux caractéristiques sont presque antinomiques : plus vous assouplissez la mousse de latex, plus elle devient fragile et risque de se déchirer. Plus vous la renforcez, plus elle devient rigide et perd de son élasticité. Nous avons dû tester plusieurs formules avant de trouver celle qui correspondait exactement à nos besoins, et qui permettait de produire une mousse de latex capable de suivre les gestes des acteurs tout en ne déformant pas trop les formes sculptées.

De combien de « couches » différentes le costume final est-il composé ?

La base du costume est un justaucorps en spandex, sur lequel sont imprimés des motifs hexagonaux. Les prises électriques des bandes lumineuses sont déjà mises en place sur le justaucorps, afin que la mousse de latex puisse recouvrir le tout et imprégner le spandex pendant la phase de l’injection. Une fois la mousse cuite, il faut tirer un peu sur les prises pour les dégager du latex, et récupérer aussi les fils qui vont être branchés sur les batteries. Par la suite, il faut faire des retouches sur le tirage en mousse de latex, pour éliminer les petites bulles qui apparaissent à la surface, ou les autres petits défauts liés à l’injection, à la cuisson et au démoulage. Deux personnes sont chargées d’effectuer ce travail sur chaque costume. Ensuite, le costume est peint pour obtenir une finition parfaite en surface, et l’on passe à la phase de la fixation des bandes lumineuses. Et il a fallu répéter cette opération 148 fois pour obtenir tous les costumes du film ! (rires)

Vous pourrez découvrir la suite de cet entretien très prochainement sur ESI !

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