Tron L’héritage : Entretien exclusif avec Christine Bieselin Clark, co-créatrice des costumes spéciaux - seconde partie
Article Cinéma du Lundi 14 Fevrier 2011

Retrouvez la première partite de cet entretien


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

L’autre grande innovation de ces costumes, ce sont justement ces bandes lumineuses dont vous venez de parler, et qui ont été fabriquées spécialement pour le film…

Oui. C’est la toute première fois que l’on utilise ce procédé au cinéma. Nous voulions conserver le principe des bandes lumineuses que l’on voyait sur les costumes du Tron  original, mais nous n’avions pas le temps matériel de développer une technologie nous permettant d’obtenir cet effet. Il fallait trouver une technique existante et l’adapter à nos besoins. Nous nous sommes lancés dans des recherches et nous avons trouvé une société américaine qui avait développé un matériau qui n’avait servi pour l’instant qu’a garnir de petites bandes lumineuses les vestes des membres d’une unité spéciale des forces de l’ordre japonaises. Il s’agissait de petites bandes de 7,62 centimètres de long sur 2,54 cm de large. Nous sommes allés les voir pour tester leurs échantillons de matériau, et nous en avons conclu que cela pourrait marcher, à condition d’améliorer les caractéristiques de ce produit. Les dirigeants de cette société – dont je n’ai malheureusement pas le droit de citer le nom – étaient très enthousiastes à l’idée de participer à notre film. Mais comme leurs bandes lumineuses étaient vraiment petites, ils ont été terrifiés en voyant nos illustrations de costumes, avec de larges bandes qui couraient tout au long du corps des personnages ! (rires) Ils se sont exclamés « Mais on n’y arrivera jamais ! » et il a fallu les rassurer et leur dire que nous allions les aider à trouver des solutions techniques pour parvenir à ce résultat. A la base, leur technique consiste à imprimer sur un tissu un polymère flexible, qui est recouvert de 12 couches successives, entre lesquelles sont disséminées des poudres métalliques qui conduisent l’électricité et une poudre fluorescente qui devient lumineuse lorsqu’elle est traversée par un courant. La dernière couche agit comme une gélatine de cinéma : elle permet de colorer la lumière et d’obtenir des bandes jaunes, rouges, bleues, etc. Mais à la base, ce procédé fonctionne grâce à une impression sur tissu. Pour le transposer sur nos costumes, il a fallu se servir des images 3D modélisées sur Z Brush pour fabriquer des supports qui avaient déjà les formes des parties du corps sur lesquelles ces bandes lumineuses seraient fixées. Nous leur avons donc donné ces supports fabriqués spécialement pour eux, et ils ont imprimé les bandes dessus. Ensuite, nous séparions les bandes de polymère des supports, nous préparions les branchements électriques, et nous les collions une par une sur les costumes.

Comment avez-vous lié les différentes parties des costumes et des bandes lumineuses de manière à ce que l’on ne puisse pas voir les raccords ?

Il y avait effectivement certains endroits des costumes où nous étions obligés de couper la bande, notamment dans les parties qui sont soumises aux flexions les plus importantes, comme les plis des coudes, les genoux, etc. Nous avons alors mis au point un système de raccords plus flexibles que les bandes qui se trouvaient sur des parties droites, comme le long des bras et des jambes, et nous avons tout simplement collé ces raccords plus élastiques entre les parties semi-rigides.

Ce polymère lumineux est-il très épais ?

Son épaisseur est d’un millimètre et demi, après avoir été renforcé. C’est à peu près l’épaisseur du vinyl que l’on utilise pour protéger une nappe en tissu. Mais ce matériau-là est plus souple que le vinyl. On peut assez bien l’étirer.

Quel est son degré d’élasticité ?

Si vous partez d’un morceau qui mesure 3 centimètres de long, vous pouvez l’étirer jusqu’à 6 cm sans problème. Mais nous avons préféré jouer la carte de la durabilité et de la solidité, et les parties plus flexibles que nous avons utilisées ont été renforcées, perdant ainsi une partie de leur élasticité. Nous n’avions pas envie de détruire ces bandes lumineuses pendant le tournage, car elles ont coûté beaucoup d’argent !

Les costumes sont visiblement très ajustés, mais ils devaient aussi permettre aux acteurs de faire toutes sortes d’acrobatie pendant les scènes d’action. Quels trucs avez-vous utilisés pour obtenir des costumes qui conviennent à toutes les situations du tournage ?

J’ai d’abord travaillé comme créatrice de costumes dans le monde du théâtre et de la danse, et grâce à cette formation, j’ai pu acquérir une grande expérience dans le domaine que vous évoquez. Je dirais même que la conception de costumes adaptés à toutes les formes d’acrobaties est l’une de mes spécialités. L’un des principes de base que j’utilise consiste à éliminer les parties en mousse du costume des endroits qui subissent les étirements et les flexions les plus intenses, comme l’arrière et le devant des genoux, l’intérieur des jambes et l’entrejambe, les dessous de bras et les coudes. Toutes ces parties-là sont réalisés uniquement avec du spandex ou du lycra très élastique, exactement comme on le ferait pour créer un costume de danse. Dans le cas de Tron L’héritage , nous avons imprimé un motif hexagonal très « high tech » sur le tissu, de manière à ce qu’il se fonde mieux dans le reste du costume.

Combien de versions du même costume avez-vous fabriqué ? Prenons l’exemple de Garrett Hedlund, qui joue Sam, le héros du film…

Nous avons fabriqué six copies des tenues de chacun des personnages principaux, mais le cas de Garrett était particulier, puisque c’est lui qui participe aux principales scènes d’action. Pour cette raison, nous avons fabriqué 12 copies de son costume, pour lui et pour sa doublure cascade.

Quelles étaient les spécificités de ces copies de costumes ? Y avait-il par exemple quatre costumes principaux, très détaillés, et d’autres plus simples, destinés aux cascades ?

Oui. Nous avons également fabriqué des costumes d’entraînement, qui étaient destinés à être sacrifiés et détruits, mais jamais filmés. Garrett et sa doublure en avaient chacun un. Il y avait effectivement quatre costumes principaux très détaillés, ainsi que différentes versions du costume, correspondant à différentes choses que Garrett devait faire. Par exemple, quand Garrett devait être suspendu à des câbles pour effectuer une cascade, il fallait disposer d’un costume assez large pour être enfilé par-dessus le harnais de sécurité auquel les câbles étaient reliés. Ce costume-là était « le costume pour les câbles et le harnais », mais il y avait également « le costume pour les gros plans » qui était un exemplaire absolument parfait dans les moindres détails de moulage, et aussi « le costume pour les lightcycles », qui était particulièrement élastique au niveau de l’entrejambe, afin que Garrett puisse adopter facilement la pose d’un pilote de moto.

Comment les acteurs enfilaient-ils leurs costumes ? Vous avez certainement été contrainte d’établir une procédure très spéciale…

Effectivement, c’était une tâche assez complexe ! A chaque fois qu’un acteur ou une actrice enfilait une tenue, il fallait prévoir quatre personnes pour l’aider. C’était une expérience interactive, car les costumes sont conçus comme des prothèses. Ils sont très ajustés. Pendant que les habilleurs et habilleuses poussent le costume, par exemple, le long des jambes, l’acteur doit pousser dans le sens inverse. Si nous prenons l’exemple du torse, qui s’ouvre par le dos, il faut que l’acteur pousse son bras gauche dans la manche pendant que deux habilleurs poussent la manche vers son épaule. Cela représente un vrai effort physique de part et d’autre, et le processus complet dure environ 45 minutes.

Les acteurs portent-il un premier costume en lycra, en sous-couche ?

Oui. C’était une mesure de prudence, car il ne faut pas oublier que la partie principale du costume, en mousse de latex et spandex, contient tout un réseau électrique destiné à alimenter les bandes lumineuses. Il fallait donc prévoir une couche de tissu qui isole le corps et le mette à l’abri d’une éventuelle fuite de courant. Après avoir revêtu cette première tenue en spandex, les acteurs enfilaient la partie « pantalon » du costume, qui était équipée de bretelles, afin que le pantalon reste toujours bien en place, puis la veste qui se refermait dans le dos.

Vous avez dû dissimuler aussi les batteries qui alimentaient les bandes lumineuses…

Oui. Nous avons été obligés de faire fabriquer des batteries spéciales, car nous devions survolter les bandes lumineuses pour obtenir un éclairage assez vif pour bien ressortir à l’image, en dépit de l’éclairage du plateau de tournage. Nous avons dû multiplier l’intensité lumineuse des bandes par 30 pour obtenir l’effet recherché. En tout, nous avons dû utiliser sept batteries lithium-ion et deux onduleurs par costume. Ce matériel est caché dans la partie arrière du costume, entre les épaules.

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