Caprica en Blu-ray – Au cœur des trucages
Article TV du Dimanche 30 Octobre 2011

Si la diffusion de cette série dérivée de Battlestar Galactica s'est arrêtée au bout d'une unique saison, la faute à des chiffres d'audience décevants, des coffrets DVD & Blu-ray permettent, depuis peu, de (re)découvrir l'intégralité de Caprica. Les fans n'auront pas manqué de saluer la direction artistique de la série, où se mêle le modernisme d'une ville-planète et le style 'noir' des années 1930. Sans oublier l'excellence des effets visuels, qui nous ont permis de découvrir sur petit écran des prototypes de robots-soldats, un véritable univers virtuel et de grandioses paysages urbains...

Par Pierre-Eric Salard



Des difficultés sociales et politiques se trouvent souvent à l'origine d'une guerre. La franchise Battlestar Galactica n'évite pas ce commentaire. Bien avant la quasi-extermination de l'humanité et la fuite désespérée de la flotte des quelques vaisseaux ayant échappés à ce Jugement Dernier, dont nous avons suivi les aventures de 2003 à 2009 sur Syfy, la planète Caprica vivait en paix. Mais l'essor technologique, confronté à des problématiques sociétales et religieuses, engendrera une première guerre entre des humains et les robots qu'ils ont créé. Si une trêve permet d'y mettre momentanément un terme, le retour des Cylons, une cinquantaine d'années plus tard, ne laissera que peu de survivants. Cela, nous l'avons découvert dans le remake de Battlestar Galactica. Quelques mois après que la diffusion du space-opéra télévisé se soit arrêtée, ses créateurs, Ron Moore et David Eick, proposèrent une série dérivée explorant la genèse des Cylons. Mais plutôt que de reproduire les recettes qui ont fait le succès de Battlestar Galactica, ils ont préféré s'éloigner de leur série phare afin de proposer un produit pour le moins différent. Caprica ne ressemble pas sa grande soeur, qu'on se le dise ! Les téléspectateurs l'ont bien compris... et la série ne rencontra malheureusement jamais son public. « Battlestar Galactica était une série véritablement unique », explique le superviseur des effets visuels des deux feuilletons, Gary Hutzel. « Le grand public n'a pas pu accrocher à cette série dramatique. Elle était un peu trop déprimante... » D'où l'idée de créer une série destinée à un public plus large. « Nous espérions que Caprica attire des téléspectateurs allergiques aux vaisseaux spatiaux », commente un responsable de Syfy. « Malgré les sujets très sérieux que cette série abordait, il s'agissait avant tout d'un drame familial... » La guerre n'y fait pas rage, les morts ne se comptent plus par dizaines. Mais la paix affichée dissimule les germes qui conduiront ultérieurement à l'annihilation quasi-complète de la race humaine. La culture de l'excès, le terrorisme, le racisme, la xénophobie, le fondamentalisme religieux, la technologie (les mondes virtuels, la robotisation de l'armement militaire...) sont autant de thèmes sous-jacents. Caprica se penche plus largement sur le développement de l'intelligence artificielle. On y découvre le Cylon U-87, créé par les Industries Graystone, ancêtre primitif des robots guerriers (les Centurions) de Battlestar Galactica. Les fans de la série originale, Battlestar Galactica 1978, remarqueront que le Cylon de Caprica dispose d'un design proche des cyborgs de l'époque - en moins kitsch et clinquant !



Le jugement dernier

Lorsque la série Caprica fut imaginée, la science-fiction ne devait pas y avoir un rôle si prépondérant. « Le contexte narratif a rapidement évolué », explique Gary Hutzel. « L'équipe chargée des effets visuels s'en est accommodée. Alors que nous devions confectionner, à l'origine, bien moins de plans truqués que pour Battlestar Galactica, ce ne fut pas vraiment le cas (rires). Ron Moore a finalement décidé d'introduire les Cylons dès le pilote. L'âme numérisée de Zoé, la fille du créateur des robots, se retrouve prisonnière du prototype des Cylons. Là encore, nous avons conçu et utilisé un modèle en images de synthèse. Or dans Battlestar Galactica, les Centurions n'étaient voués qu'à se faire détruire de toutes les manières possibles. Dans Caprica, il fallait pouvoir véhiculer des émotions humaines à travers un robot quasiment statique et absolument pas expressif ! Nos animateurs ont travaillé sans relâche afin de parvenir à ce résultat ». Le design du Cylon U-87 devait être à la fois fonctionnel (il s'agit d'un prototype, après tout), permettre de transmettre des émotions, rendre hommage aux robots de 1978... et posséder assez de points communs avec les Centurions de Battlestar Galactica 2003 pour que les spectateurs comprennent qu'il s'agit bel et bien de l'ancêtre du fléau à venir ! Autant dire que l'équipe chargée de la recherche artistique, menée par Pierre Drolet (Serenity, Battlestar Galactica), a imaginé de nombreuses versions de ce robot avant d'obtenir le résultat désiré... Le modèle 3D final, composé de plus de 250000 polygones, est tellement détaillé que les mécanismes internes, parfaitement visibles, se meuvent en coordination avec les mouvements du prototype ! L'iconique œil rouge, quant à lui, représente l'un des principaux outils narratifs permettant de faire comprendre qu'une âme humaine habite dans la machine. « Quelquefois, lorsque je découvrais un épisode, je m'avérais incapable de dire si le Cylon était un trucage numérique ou une réplique à taille réelle », avoue Ronald D. Moore. « On vit une époque incroyable ! Même à la télévision, il devient impossible de faire la différence entre les prises de vues réelles et les images de synthèse... Je me souviens qu'un jour, alors que l'on me soumettait le montage final d'un épisode, un plan montrait le châssis de l'U-87 reposant sur une table. Je me suis dit que c'était forcément un effet visuel. Puis l'acteur a interagit avec le robot... Je n'arrivais plus à deviner quelle était la nature du trucage ! » En effet, le Cylon étant souvent désactivé (et donc statique), une réplique grandeur nature a été créée de toutes pièces ! « A cause du faible budget alloué à ce type de production destiné à la télévision, une construction de ce genre est extrêmement rare », s'enthousiasme le superviseur des images de synthèse Doug Drexler. « Découvrir le Cylon en chair et en os, ou devrais-je plutôt dire en métal et en plastique, sur le plateau, cela n'a laissé personne indifférent (rires) ! Sa taille était imposante. Cela nous a permis de ne pas avoir à faire, en post-production, le rendu et le compositing du robot au sein des plans où il était inactif. L'équipe d'un maquettiste, Lou Zutavern, a construit cette réplique en très peu de temps. C'est d'autant plus remarquable que Lou n'a pas dessiné les différents éléments du robot par ordinateur ! Pour un prototype de robot au sommet de la technologie, avouez que c'est plutôt paradoxal (rires) ». Lou Zutavern n'est guère un amateur dans le métier, puisqu'il a travaillé sur Terminator 2 : Le jugement dernier et Starship Troopers. « Son équipe a construit le Cylon par passion, et pour une bouchée de pain », précise Gary Hutzel. « Le département chargé des trucages n'arrête pas de repousser les limites de ce qui est possible à la télévision », déclare Ron Moore. « C'est incroyable ! Et je pourrais dire la même chose des décors virtuels... »



Bienvenue dans la Matrice

En effet, la série introduit un univers virtuel, le « V World », dans lequel les gens peuvent évoluer – et exaucer tous leurs fantasmes - après s'être branché à « La Matrice » du cru. Au sein de ce Second Life extrêmement perfectionné existe un jeu massivement multijoueur, « New Cap City ». Il s'agit d'un monde virtuel dont les décors sont inspirés par l'architecture de la planète Caprica. Les designs y sont plus stylisés, mêlant l'ambiance des films noirs à la lumière blafarde des néons. Comme dans un jeu vidéo, de mystérieux gangsters vêtus à la mode des années 1940 se livrent des batailles rangées alors qu'un immense dirigeable armé jusqu'au dents flotte entre d'immenses gratte-ciels entourés par une brume opaque. « New Cap City » s'avère encore plus rétro-futuriste que la planète qui abrite les événements de la série ! « Lorsque vous êtes à New Cap City, vous le savez instantanément », explique l'artiste en effets visuels Kyle Toucher. « Il y fait souvent nuit. La texture de ce monde virtuel est très granuleuse, et tire sur le verdâtre... » Les créateurs de la série souhaitaient introduire cet hommage au genre du film noir. « Les joueurs participent à un jeu de rôle très sombre », précise Gary Hutzel. « C'est chacun pour soi ! Nous voulions montrer jusqu'où peuvent aller les excès des êtres humains, qui s'inventent un endroit où tout est permis. Autant les scènes se déroulant sur la planète Caprica ont souvent pu être tournées dans les rues de Vancouver, autant il était impossible de retrouver New Cap City dans la réalité ! Nous n'aurions pas pu inventer cet univers sans l'aide du numérique. Nous avons ainsi utilisé le logiciel d'infographie Lightwave 3D. Pour de nombreuses scènes se déroulant dans ce monde virtuel, les acteurs étaient filmés devant des fonds verts. Nous avons conçu, à l'aide des images de synthèse et de mattepaintings numériques, un certain nombre de ces paysages, que nous avons intégré derrière les comédiens. Pour créer ces environnements, nous avons recyclé l'imagerie des années 1930 et 1940 ». Il a fallu composer avec des dizaines de milliers de polygones pour créer cette cité de toutes pièces. Elle fourmille de détails, tels le trafic aérien, les panneaux lumineux, etc... « Nous nous sommes à la fois inspirés du film Metropolis de Fritz Lang, de la 'skyline' du New York des années 1940 et de l'œuvre de l'architecte Hugh Ferris », ajoute le superviseur des images de synthèse Doug Drexler. A l'instar de la dernière saison de Battlestar Galactica, les effets visuels ont été réalisés en interne. « Artistiquement, c'était la meilleure approche », précise Gary Hutzel. « Avec le budget alloué à Caprica, nous n'aurions jamais pu concevoir New Cap City ! Un studio spécialisé dans les effets visuels n'y aurait pas trouvé, financièrement, son compte. Il n'aurait jamais fait de profit en travaillant sur la série (rires) ! Les recherches artistiques pour New Cap City auraient coûter 100000 dollars à elles-seules. Le devis pour prévisualiser une séquence en externe s'élevait jusqu'à 40000 dollars... En interne, nous avons pu créer ce monde virtuel -dans tous les sens du terme- pour une fraction de ce prix... » Ce n'est donc pas forcément le budget qui fait la qualité des trucages d'une série, mais la capacité des artistes motivés à mettre leur talent au service de concepts novateurs...

Retrouvez nos précédents dossiers consacrés à Battlestar Galactica et Caprica :

[Battlestar Galactica : Une autre Guerre des Etoiles ]

[Battlestar Galactica – L'apogée des effets spatiaux ]

[Battlestar Galactica : Dépasser les limites de la petite lucarne ]

[Caprica – Les racines de Battlestar Galactica]

[Caprica – Les trucages de la série dérivée de Battlestar Galactica]


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