Les effets visuels de Tron L’héritage : Entretien exclusif avec Steve Preeg , superviseur de l’animation et Eric Barba, superviseur des effets visuels au sein du studio Digital Domain - Seconde partie
Article Cinéma du Vendredi 25 Fevrier 2011

Retrouvez la première partite de cet entretien


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Vous avez cité le film Contre tout attente, mais avez-vous employé d’autre références visuelles pour recréer l’aspect de Jeff Bridges ?

Eric Barba : Nous nous sommes procurés aussi des photos de lui prises à la même époque, mais c’est surtout en nous basant sur les séquences de Contre toute attente, dont nous avons tiré des centaines d’agrandissements photographiques, que nous avons pu mettre au point un modèle qui convenait à la tranche d’age que souhaitait le studio. Dans ce film, Jeff était mince et en grande forme physique, car il incarnait un athlète, et c’était exactement le look que recherchait Disney pour Clu 2.0.

Pour réussir à animer parfaitement le clone de Jeff Bridges, vous avez dû non seulement reconstituer l’extérieur de sa tête, sa chevelure, sa peau, les volumes de son visage, mais également la manière dont les masses musculaires sous sa peau fonctionnaient. Comment avez-vous procédé pour animer les muscles faciaux ?

Eric Barba : Le « model contour system » dont je parlais précédemment, nous a permis de photographier les expressions faciales de Jeff sous tous les axes, et d’enregistrer ainsi précisément les déformations en volume de son visage. Muni de ces informations, étant donné qu’aucune personne ne bouge exactement comme une autre, nous avons pu déterminer précisément comment les muscles faciaux de Jeff agissaient sous sa peau. Si nous avions construit d’une part un modèle 3D du visage, puis que nous l’avions plaqué sur un crâne et un réseau de muscles 3D créés par ailleurs, nous aurions pu animer le visage, mais le résultat obtenu n’aurait pas ressemblé aux expressions de l’acteur. Avec notre système, qui est entièrement basé sur la captation des vraies déformations des volumes du visage de Jeff, les expressions qu’utilisent les animateurs pour compléter les enregistrements de performance ne peuvent être que des expressions rigoureusement identiques à celle de Jeff, puisqu’elles ont été photographiées et reconstituées en 3D à partir de lui. C’est ce qui nous aide à ne jamais dévier de l’aspect réel de Jeff. C’est extrêmement important, car on ne peut pas se permettre d’improviser quand on doit recréer la performance de quelqu’un. Si vous captez la performance d’une actrice et que vous l’injectez dans le modèle 3D de Jeff, vous obtiendrez un résultat aberrant, et vous vous rendrez tout de suite compte que quelque chose ne marche pas. Il fallait vraiment que ce soit la performance de Jeff qui nous serve à animer le clone de Jeff. Quand ils intervenaient, les animateurs pouvaient voir les données brutes recueillies lors de la capture, et vérifier comment l’ordinateur les interprétait pour reconstituer Jeff à partir des images 3D obtenues via le « model contour system ». Si quelque chose n’allait pas, ils pouvaient ensuite intervenir pour compléter exactement ce qui manquait, mais en sachant très bien ce qu’il fallait faire et jusqu’où ils pouvaient aller. Et à tout moment, ils pouvaient consulter la performance originale de Jeff filmée en vidéo pour savoir quelle était son intention de jeu.

Comment avez-vous détecté les mouvements des yeux ?

Steve Preeg : L’animation des yeux est toujours très délicate à régler. En fait, nous n’avons pas à détecter très précisément les mouvements des yeux de Jeff, car si l’on observe bien quelqu’un, on se rend compte que les yeux suivent les mouvements du corps et de la tête. Or, dans le cas des scènes de Clu 2.0, les mouvements étaient ceux de la doublure corps, et non pas ceux de Jeff, dont seule la performance faciale a été captée. En fonction de la scène, notamment quand Clu 2.0 bougeait beaucoup, il nous arrivait d’utiliser les positions des yeux de John Reardon, la doublure corps de Jeff, pour animer les yeux de Clu. En revanche, quand nous animions des scènes de dialogues pendant lesquelles Clu 2.0 était assez statique, nous utilisions les mouvements des yeux de Jeff, car ils exprimaient mieux ses pensées.

Travailler sur un film comme Tron L’héritage , c’est un peu comme jongler avec des millions et des millions de pièces de puzzle qu’il faudra assembler parfaitement plus tard…

Eric Barba : Dans le cas de Tron L’héritage , il s’agit de deux milliards d’éléments ! (rires)

Impressionnant ! Comment gardez-vous la trace de chacun de ces deux milliards d’éléments et comment vous organisez-vous pour les gérer ?

Steve Preeg : Nous utilisons plusieurs logiciels dédiés pour gérer et localiser tous les éléments que nous produisons. N’importe quel plan du film peut être composé de plusieurs centaines de parties, sans compter les textures ou les couleurs utilisées pour les produire, ni les différentes versions obtenues en utilisant le shader, les phases successives de l’animation, les effets lumineux, etc.

Eric Barba : Nous avons une fantastique équipe de superviseurs des effets visuels et ils se chargent de faire en sorte que tout avance de manière très ordonnée, en laissant des traces que l’on peut consulter à tout moment. Quand l’un d’entre eux suit la réalisation de plusieurs plans, il sait exactement à quelle étape de progression tel plan se trouve à un moment donné, et il sait à quelle étape il en était avant, ainsi que ce qui devra être fait juste après. Grâce aux logiciels de suivi du travail, il sait précisément quels éléments sont utilisés, et comment ils sont combinés pour obtenir tel ou tel effet. Toutes les modifications sont notées aussi, de telle manière que l’on puisse reproduire un processus qui a bien marché dans un plan sur un autre plan, sans avoir à tâtonner. Toutes les animations sont également stockées et disponibles, au cas où l’on devrait en réutiliser une pour la transposer dans une autre scène. Je pense notamment aux animations de véhicules comme les lightcycles, ou aux animations de figurants dans les scènes de foule comme celles qui se déroulent dans le grand stade.

Comment avez-vous déterminé quels décors il fallait construire « en dur » et quels décors pouvaient être entièrement créés en 3D ?

Eric Barba : Cela dépendait de la manière dont les acteurs allaient évoluer dans ces décors et interagir avec eux. Si je prends l’exemple de la boîte de nuit « End of the line », en raison de son design complexe avec des marches d’escalier, de sa piste de danse et de son bar, nous savions que nous allions avoir besoin de construire cet environnement pour montrer les comédiens se déplacer dans ces différents volumes, s’accouder au bar, etc. En revanche, dans les endroits où les joueurs combattent, il n’y a pas d’interactions très précises avec des éléments de décor, en dehors du sol ou d’un bref appui contre un mur pour sauter et éviter d’être touché par un disque, ou pour esquiver un mouvement d’épée. Ces scènes-là ont été tournées entièrement sur fond bleu. D’ailleurs, pendant les séquences de combats, les acteurs lançaient vraiment des disques pour que leurs gestes soient totalement convaincants.

Comment avez-vous tourné le plan très efficace dans lequel Sam utilise son disque pour briser le sol en verre sous les pieds de son adversaire qui se précipite sur lui pour lui donner le coup de grâce ?

Eric Barba : C’était très compliqué à faire. Dans certains plans, nous avons eu recours à 100% à de la 3D, dans d’autres, nous combinons les acteurs en prises de vues réelles et un décor en 3D, et dans un autre, nous avons filmé Garrett Hedlund au travers d’une feuille de plexiglas, en ajoutant ultérieurement d’autres parties de sol transparent en 3D. Nous alternons ces effets tout au long de la séquence, en fonction de ce que nous avons pu tourner en direct. Le morceau de plexiglas dont nous disposions n’étant pas très large, nous ne pouvions l’employer que pour montrer Garrett se tenant debout ou bougeant peu. Quand on le voit au travers du sol, en train de courir, il est reconstitué et animé à 100% en 3D. Idem pour le plan où on le voit se retenir par les bras au bord du vide, les jambes pendantes.

Vous pourrez découvrir la suite de cet entretien très prochainement sur ESI !

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