Entretien exclusif avec Eddy Kitsis & Adam Horowitz, les scénaristes de Tron l’héritage
Article Cinéma du Mardi 19 Avril 2011

Les auteurs du scénario de Tron l’héritage nous racontent le développement de cette nouvelle saga.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Entretien avec les scénaristes Eddy Kitsis & Adam Horowitz

Dans le Tron de 1982, le monde virtuel était représenté visuellement par des graphismes qui évoquaient les lignes des composants électroniques des ordinateurs, le fonctionnement des machines de l’époque, avec le logiciel principal MCP, les créations et effacements de programmes, ainsi que les jeux vidéo 2D de l’époque. Comment avez-vous répercuté dans votre script les changements énormes qui ont eu lieu depuis 27 ans dans le fonctionnement des ordinateurs, l’apparition et le développement de l’internet, et le réalisme des jeux vidéo 3D actuels ?


Adam Horowitz : En préambule, je dois vous dire que Eddy et moi sommes de grands fans du Tron original. Il nous a énormément marqué quand nous étions enfants, et il fait partie des films qui nous ont influencés et qui nous ont poussés à devenir scénaristes. Quant on nous a confié la tâche d’écrire Tron l’héritage , nous avons eu envie de rendre hommage au film original, et de créer quelque chose qui se hisse au même niveau. En 1982, les technologies dont parlait le film étaient toutes nouvelles, expérimentales, et défiaient nos imaginations d’enfants…

Eddy Kitsis : …et c’est intéressant de remarquer à quel point Steven Lisberger a été un véritable prophète en 1982. Steven a l’habitude de dire en plaisantant que parmi les grandes prophéties de la SF, comme le débarquement d’extraterrestres ou l’apocalypse nucléaire, la seule qui se soit accomplie, c’est l’omniprésence des ordinateurs, et le fait que les gens vivent, travaillent, communiquent et se divertissent grâce à ces machines. On pourrait presque dire que les gens vivent DANS les ordinateurs aujourd’hui, surtout avec la mode des blogs, de facebook, du chatting, etc. La question thématique principale du premier film était, je crois, « Comment la technologie et l’humanité peuvent-elles coexister ? ». C’est ce thème qui a été notre source d’inspiration principale.

Adam Horowitz : Ensuite, nous nous sommes demandés « Comment le monde de Tron a-t’il évolué en 27 ans ? Quel est son aspect aujourd’hui ? Comment fonctionne t’il ? » . Nous avons imaginé qu’il s’était développé de multiples manières, et qu’il avait à présent un aspect totalement réel, concret, solide, exactement comme les visuels des jeux vidéo actuels sont vous parliez. Désormais, on peut voir les textures, les matières, la chair des personnages. Tout est palpable, et donc, également plus menaçant en cas de danger.

Eddy Kitsis : Concernant le web, nous ne voulions pas que l’histoire devienne celle de personnage qui sont projetés dans l’univers d’Internet. Nous n’avions pas envie de voir nos héros courir devant la menace d’un spam de publicité pour le viagra ! (rires) Ce qui nous a frappés quand nous étions enfants, Adam et moi, c’est le fait que Tron nous dévoilait une nouvelle frontière, inconnue, mystérieuse et fascinante : celle du monde virtuel. C’était un tout nouvel univers, tout comme peut l’être celui de Pandora dans Avatar, ou les lunes d’Endor dans Star Wars. Nous avons donc commencé à nous représenter l’univers de Tron comme s’il s’agissait d’une autre planète, et non pas seulement comme s’il s’agissait de la mise en pratique de nouvelles technologies informatiques.

Adam Horowitz : Je me souviens très bien que pendant que je découvrais Tron au cinéma, je me disais « Bon sang, mais ce monde de l’ordinateur ouvre des possibilités sans limites, absolument incroyables ! ». Pour Eddy et moi, il était important d’arriver à exprimer ce sentiment dans le script, pour le faire ressentir aux spectateurs. Steven Lisberger a créé un univers fascinant, et nous avons voulu le rendre encore plus réaliste pour immerger totalement le public dans cette nouvelle histoire.

Eddy Kitsis : Ce qui nous a beaucoup aidé, pendant le tournage, c’est que beaucoup de décors, même s’ils sont sensés être virtuels, ont été construits « en dur » à Vancouver. Je pense notamment au bar/boîte de nuit « End of the line » et au repaire secret de Flynn.

Adam Horowitz : Pour revenir à votre question sur la transposition visuelle des nouvelles techniques et formes des appareils électroniques actuels dans le design du monde de Tron, quand Joseph Kosinski a donné ses instructions aux designers et à nous-mêmes, il nous a demandé de partir des bases du monde du film original, et de les faire évoluer comme nous l’imaginions. De cette manière, il s’est assuré que les spectateurs qui connaissent l’univers de Tron reconnaîtront bien son « ADN » dans Tron l’héritage . Et effectivement, quant on voit les images de ce nouvel épisode, on comprend tout de suite que ce monde est issu des mêmes bases, des mêmes technologies, mais que ces dernières, en évoluant, ont permis de créer énormément de choses nouvelles.

Eddy Kitsis : C’est évident lorsque l’on voit les Lightcycles, les motos de ce monde. Les modèles de 1982 sont la première génération de ces machines, tandis que les Lightcycles actuels se forment autour du corps du joueur, tout en le laissant apparaître. Il est intéressant de noter que le premier design de Syd Mead, en 1982, montrait lui aussi le corps du conducteur de la moto. Mais Steven Lisberger s’est rendu compte que ces formes seraient trop complexes pour que l’on puisse les créer avec la 3D de l’époque, et du coup, le conducteur a du être caché sous un habitacle lisse, et des reflets. Aujourd’hui, Joseph Kosinski et Daniel Simon, le designer des véhicules, ont pu revenir à cette idée de 1982, car la technologie de 2010 permet de la représenter.

Adam Horowitz : Dans le premier Tron, on voit comment les programmes vivent et sont persécutés par Sark, le double de l’ennemi humain de Flynn, qui obéït au MCP (maître contrôle principal ), le programme utilisé pour voler le jeu Space Paranoïds inventé par Flynn. Dans notre histoire, nous avons décidé de ne pas nous borner à montrer des paysages neutres, mais la ville centrale dans laquelle vivent tous les programmes. En 1982, il était impossible de représenter un environnement aussi complexe et aussi grand, avec des routes et des architectures qui s’étendent à l’infini.

Eddy Kitsis : Etant donné que l’action du premier Tron se déroulait à l’intérieur d’un serveur, nous n’avions pas de raison de transposer l’action sur le web, par exemple. Les événements de Tron l’héritage se déroulent aussi dans un serveur. Il s’agit d’une autre machine sur laquelle Flynn, après sa première aventure, a créé un nouvel univers, et un nouveau réseau. Pour revenir encore à votre question, notre approche n’a pas été basée sur les technologies, mais sur l’évolution des personnages. Ce que nous voulions montrer, c’est le monde que Kevin Flynn a construit, comment il s’est retourné contre lui, et comment son fils découvre finalement qui est son père, qui a disparu lorsqu’il avait 7 ans, en se lançant à sa recherche. Ce sont ces thèmes profondément humains et ce nouveau monde que nous avions envie de développer.

Adam Horowitz : La manière dont la présence du web a un impact sur ce film, c’est bien sûr le fait que chacun d’entre nous est lié à internet de manière quotidienne. Cette technologie que personne n’imaginait en 1982, excepté Steven Lisberger, nous semble si naturelle, si évidente, que nous n’en mesurons plus toutes les implications et tous les risques. Dans notre histoire, nous explorons aussi les risques inhérents au développement de telles technologies, et la manière dont on peut « réinjecter de l’humain » dans un tel univers. Lorsque la technologie est utilisée pour le bien, elle peut permettre aux hommes de s’instruire, de développer leurs dons, de mieux comprendre leurs semblables, de mieux communiquer, en un mot, de devenir des êtres plus intelligents et plus sensibles. C’est le sens de la relation père-fils qui constitue la base de notre histoire : Kevin et Sam Flynn, au terme de cette aventure, auront tous les deux évolué, et seront devenus de meilleures personnes.

Que pouvez-vous nous dire sur l’évolution du personnage de Kevin Flynn, incarné par Jeff Bridges ?

Eddy Kitsis : Le film de 1982 nous a appris que Kevin Flynn est un créateur de programmes révolutionnaires, un précurseur de génie qui a inventé plusieurs jeux vidéo. Après son aventure du premier épisode, Flynn se débarrasse de son ennemi et prend le contrôle de la société Encom, qui lui avait volé le jeu Space Paranoïds. C’est ainsi que Tron s’achève. Adam et moi avons donc imaginé que Flynn avait connu une carrière similaire à celles de Steve Jobs au sein d’Apple ou de Bill Gates au sein de Microsoft. Comme eux, Flynn est un visionnaire, toujours en avance sur son époque. Quand son fils Sam le retrouve prisonnier du monde virtuel qu’il a créé, il lui demande pourquoi il a fait tout cela, et comment les choses ont pu tourner aussi mal. C’est là qu’intervient le personnage de Clu 2.0, qui est l’alter-Ego maléfique de Flynn. Dès le départ, Adam et moi avions envie que l’antagoniste des héros soit un clone de Kevin Flynn, tel qu’il était à 35 ans. Ce personnage symbolise ce qu’avait pu être Kevin Flynn à une époque de sa vie, lorsque sa réussite l’avait rendu très orgueilleux, et lui avait fait oublier les règles humaines basiques que l’on doit injecter dans la technologie pour la rendre viable. Clu 2.0 est un programme créé par le Flynn de ce moment-là, et cette créature a mal évolué, et pris tant de distance vis à vis de son créateur qu’elle a fini par se retourner contre lui. Parallèlement, Flynn a eu beaucoup de temps – près d’une vingtaine d’années – pour réfléchir aux conséquences de ses actes. S’il a évolué en tant qu’humain, son programme Clu 2.0, lui, a gardé l’état d’esprit orgueilleux qui animait son créateur au moment de sa naissance.

Clu 2.0 est donc comme un reflet maléfique de Flynn que ce dernier serait constamment obligé de regarder…

Eddy Kitsis : Exactement.

Adam Horowitz : C’est la manière dont nous avons voulu exprimer l’idée que sans humanité, toute technologie aux capacités illimitées possède un potentiel de danger dont il faut se méfier. C’est l’éternelle question de l’équilibre entre science et conscience.

La suite de cet entretien sera bientôt disponible sur ESI !

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