Entretien exclusif avec Joseph Kosinski, réalisateur de Tron l’héritage
Article Cinéma du Vendredi 18 Mars 2011

27 ans après le film original, ce réalisateur issu de monde de la pub s’empare des personnages et du monde virtuel de Tron , et propose une suite ambitieuse et spectaculaire. Les éditions Blu-Ray & DVD de Tron & Tron Legacy sortiront le 9 juin prochain.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

C’est dans le domaine de la réalisation de spots publicitaires que Joseph Kosinski a imposé son talent, se servant des images de synthèse pour jouer avec la perception du spectateur. Dans son premier court métrage Desert house, il décrivait déjà une maison dont il révélait par moments les structures 3D, tout en utilisant des bruits de pas sur des graviers qui sont eux, totalement réels. Il créait ainsi un décalage très intéressant entre simulacre et réalité. Fan de Kubrick, Kosinski a aussi reconstitué le décor de grand hall de l’hôtel de Shining pour une bande-annonce de télévision, ne dévoilant la supercherie 3D qu’à la fin du spot…Tron l’héritage est son premier long métrage. Il nous en raconte la création.

Entretien avec le réalisateur Joseph Kosinski

Tron l’héritage   étant votre premier long métrage, nous avons visionné les spots publicitaires que vous avez réalisés, pour en savoir plus sur vous. Ce qui est frappant, c’est la manière dont vous vous servez des images de synthèse pour jouer avec la perception du spectateur. Dans votre court métrage Desert house, vous décrivez une maison dont vous révélez par moments les structures 3D, tout en utilisant des bruits de pas sur des graviers qui sont eux, totalement réels. Vous créez ainsi un décalage très intéressant entre réel et irréel, simulacre et réalité. Vous avez aussi reconstitué le décor de grand hall de l’hôtel de Shining pour une publicité, et vous ne dévoilez la supercherie 3D qu’à la fin du spot…

Oui. Shining est un de mes films préférés, et je voulais dérouter les spectateurs, comme vous le soulignez.

Sans avoir vu toutes vos réalisations dans le domaine de la publicité, il nous a semblé que le point commun de vos spots, c’est de jouer avec le public, grâce à la 3D. Diriez-vous que c’est cette capacité à détourner la 3D qui a poussé Disney à vous confier la réalisation de Tron l’héritage  ?

Oui, je le crois. Explorer les frontières entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas m’a toujours passionné. Quand le producteur Sean Bailey a visionné ma bande démo, il a vu là quelque chose qui l’a intéressé, et qui lui a fait penser que je pourrais être un candidat potentiel pour la réalisation de Tron l’héritage . Nous nous sommes rencontrés, et après avoir fait connaissance et après m’avoir interrogé sur mes aspirations, il en est rapidement venu à me parler de Tron. Je me souviens qu’il m’a demandé « Après Matrix, Avatar, comment, selon vous, pourrait-on revenir dans l’univers de Tron de manière à séduire le public de 2010 ? » Je lui ai dit que cette question et ce projet m’intéressaient, et après y avoir réfléchi quelques jours, je lui ai exposé mes idées et la manière dont je proposais de décrire ce monde virtuel. Mais il fallait valider tout cela en images, et j’ai demandé au studio de débloquer des fonds pour que nous puissions réaliser un test, ici, au sein de Digital Domain. Je voulais leur présenter une scène assez longue pour me permettre de créer une ambiance, et une action complète, avant même que nous ne disposions d’un script. C’était une démarche atypique, mais Disney a tout de même accepté de nous confier un petit budget pour réaliser cette séquence, que j’ai préparée comme une sorte de teaser du film à venir.

Vous avez étudié plusieurs disciplines, dont l’architecture. Cela a-t’il eu une influence sur votre vision du film ?

J’ai étudié effectivement l’ingénierie, le design industriel, la musique et l’architecture. Ce sont des domaines d’expression artistique passionnants, qui vous influencent forcément lorsque vous développez vos projets de films. Une formation d’architecture, une fois que vous vous retrouvez sur un plateau de cinéma, ne vous permet pas seulement de concevoir de beaux décors. Pendant vos études d’architecte, vous êtes amené à vous poser des questions essentielles sur les rapports entre les formes et l’utilisation d’un espace, ainsi que sur la circulation des personnes dans cet endroit. Cela vous rapproche déjà de la mise en scène. Quand vous passez au stade du dessin du bâtiment, vous devez apprendre à jeter un regard très critique sur votre travail, à en détecter les faiblesses, et à refaire, inlassablement. C’est un autre point commun avec le métier de cinéaste. Un architecte doit également être capable de trouver des artistes exceptionnels dans différents corps de métier, et de les faire travailler ensemble sur la création d’une œuvre commune. C’est ce que j’ai fait avec les designers, concepteurs d’effets visuels et costumiers de la formidable équipe artistique de Tron l’héritage .

En quels termes avez-vous exposé votre « pitch » de la suite de Tron au studio ?

J’ai d’abord décrit ma vision de l’univers virtuel de Tron, et expliqué que je voulais l’ancrer dans celui du film original, et en reprendre les éléments de design et les personnages, tout en le modernisant. Il fallait que l’on reconnaisse l’univers de Tron dès les premières images, tout en se rendant compte qu’il avait évolué, et que l’histoire se déroulait en 2010. Je pense que situer l’action dans un monde virtuel très semblable au monde réel, comme on a pu le faire dans Matrix, n’aurait pas du tout fonctionné pour Tron. Il fallait que ce soit un environnement très stylisé. J’ai également insisté sur l’importance de donner une réalité tangible, physique, à cet univers. Il fallait que les spectateurs soient convaincus que l’on peut toucher tous les objets et les véhicules qui se trouvent là, et gommer l’aspect un peu immatériel de certains visuels du premier film. Plutôt que de se sentir projeté dans un monde virtuel, je voulais donner l’impression que l’on arrivait sur une autre planète, conçue selon les codes esthétiques de l’univers de Tron.

Dans le film de 1982, il y avait beaucoup de références visuelles au monde de l’électronique, tel qu’il existait à cette époque : on pouvait voir des graphismes reproduisant des lignes de circuits imprimés sur les costumes des personnages, et Steven Lisberger avait conçu l’organisation de cet univers sous la forme d’un réseau commandé par un logiciel principal, selon le fonctionnement des ordinateurs des années 80…

Oui, il faisait également référence aux bits, et à d’autres mots tirés du jargon informatique, comme « maître contrôle principal », ce qui était tout à fait logique à l’époque. Mais il m’a semblé que dans le monde actuel, dans lequel chacun d’entre nous connaît si bien les ordinateurs, et travaille constamment avec, il n’était plus utile de mettre ces références en avant. Cela aurait pu devenir un peu ridicule…Je ne voulais pas non plus consacrer le film au développement d’Internet, ni truffer les dialogues de références au téléchargement de données, aux clés USB ou aux virus informatiques qui circulent sur le web. Je préférais que l’on ait l’impression de se retrouver dans une intrigue de western, une fois que notre jeune héros est projeté dans ce monde. Le public d’aujourd’hui est bien plus sophistiqué que celui des années 80. Les ordinateurs ne sont plus aussi mystérieux qu’à l’époque du premier Tron, car depuis l’arrivée des ordinateurs domestiques, chacun connaît la signification des mots que l’on utilisait dans le film original. Notre approche a donc été totalement différente en termes de langage.

Est-ce aussi la raison pour laquelle vous avez choisi de donner des formes plus organiques aux véhicules et aux décors ?

Oui. Nous nous sommes éloignés des formes très géométriques des véhicules et des décors du premier épisode, parce qu’elles étaient dues aux limitations techniques des premières images de synthèse, et avaient de ce fait un aspect très virtuel. Cela marchait bien alors, parce que l’on éprouvait en les voyant un sentiment d’étrangeté qui vous entraînait dans un monde irréel. Aujourd’hui, le public est habitué à voir des images 3D qui ont un aspect solide, réaliste, comme dans les derniers jeux vidéo des consoles HD. Il fallait donc que le monde de Tron l’héritage ait une réalité physique que l’on perçoive immédiatement. D’ailleurs, nous avons construit beaucoup de vrais décors en plateau. Il y a aussi de la pluie et du vent dans le monde de Tron. Mon objectif, c’était de donner l’impression que toute l’équipe de tournage s’était rendue dans ce monde et avait tourné le film sur place, en captant les évènements sur le vif, pendant qu’ils avaient lieu. Je pense que cette approche était capitale pour que l’on sente que les dangers menaçant les personnages sont effrayants et peuvent avoir des conséquences mortelles. De même, les scènes d’émotion sonnent plus juste dans un contexte réaliste. Dans mon « pitch », j’ai beaucoup insisté sur ce point : il ne fallait pas que le monde virtuel ait l’air d’être virtuel.

Vous avez créé la surprise avec la séquence-test que vous avez réalisée. Et vous avez réussi à obtenir la participation de Jeff Bridges, ce qui était un coup de maître…

Dès que Disney a donné le feu vert, nous avons travaillé sur ce test, puis j’ai contacté Jeff Bridges et je l’ai rencontré pour lui expliquer ma vision du projet et lui raconter la scène. Il a été tout de suite convaincu, et a accepté de participer au tournage de ce test, ce qui était un atout formidable pour nous. Nous avons tourné les scènes en prises de vues réelles ici, sur le plateau de Digital Domain, puis nous sommes passés à la création des effets visuels et des images 3D. Quand la séquence-test a été achevée, nous l’avons montrée à Disney. Le studio l’a beaucoup aimée, mais il nous restait encore à la tester en la montrant au public le plus exigeant, celui des fans. C’est la raison qui nous a poussés à la dévoiler au cours du Comicon de San Diego, il y a deux ans, pour observer les réactions qu’elle allait susciter. A notre grand soulagement, les fans l’ont si bien accueillie qu’un bouche à oreille enthousiaste s’est créé. L’apparition de Flynn / Jeff Bridges dans cette séquence-test a eu un impact phénoménal, car les gens se sont dit « Ça y est, on va vraiment voir la suite de Tron! ». C’était vital d’obtenir la participation de Jeff à ce projet, et il est l’un des premiers à avoir signé un contrat pour tourner dans le film, dès que Disney a lancé la production du long métrage.

Ce qui était saisissant dans cette séquence-test, c’était la précision de la vision du monde de Tron qu’elle présentait : contrairement à d’autres essais filmés que l’on a pu voir par le passé, tout était déjà en place, qu’il s’agisse de l’aspect des Lightcycles , des architectures de la ville, ou du dédoublement de Flynn, qui apparaissait à la fois barbu, vieilli et fatigué, et jeune et triomphant, après avoir terrassé son adversaire à l’issue de la course de motos. Vous avez déjà effectué un travail de conception extrêmement abouti à ce moment-là…

Oui, j’avais une vision précise du projet, et nous avions posé les principaux éléments des designs du monde de Tron pour réaliser une séquence qui donne l’impression de voir l’extrait d’un vrai film à venir. C’était capital pour que les spectateurs aient envie de voir la suite. Dans un second temps, il nous a fallu travailler pendant près de deux ans pour développer le monde de Tron l’héritage dans tous ses détails, mais cette première approche devait déjà être très précise afin que je sois sûr que Disney me soutiendrait à 100%. C’est un projet de grande ampleur, et s’ils avaient pensé à ce moment-là que mon approche de Tron était trop sombre, trop dure, cela m’aurait déstabilisé, et ma vie serait devenue beaucoup plus compliquée ! Heureusement, ils ont été convaincus, et m’ont totalement soutenu. Ils ont aimé cette approche épurée, les dominantes sombres faisant ressortir les parties éclairées des décors et des costumes, et ils ont compris que cela donnerait un côté contemporain et attractif au film. C’était un parti pris radical, très différent de tout ce que Disney avait produit jusqu’à présent. Cela allait faire basculer le film dans un autre registre, mais cette audace leur a plu, et ils l’ont accueillie avec bienveillance. Leur réaction a été très satisfaisante pour moi et pour mon équipe.

Avez-vous été contraint de supprimer certaines idées trop ambitieuses de cette séquence-test ?

Oui. Nous avions pensé équiper les lightcycles de certains gadgets et armes que l’on aurait pu utiliser pendant la scène de la poursuite et du combat des motos, et nous avions également prévu de montrer d’autres véhicules…Mais nous les avons inclus dans le film, même si nous avons développé beaucoup plus de designs de véhicules que ceux que vous découvrirez dans Tron l’héritage . Par conséquent, nous disposons d’une telle armada d’engins que avons largement de quoi alimenter deux autres films !

Ah, vous parlez déjà de deux autres films ? Est-ce que cela signifie que vous avez déjà écrit les bases d’une trilogie Tron?

(Joseph Kosinski sourit) Euh…non, pas exactement, mais nous avons déjà réfléchi à la manière dont l’histoire pourrait se poursuivre, après la conclusion de cet épisode, au cas où il y aurait un autre Tron. Nous avons effectivement quelques idées en stock.

La suite de cet entretien sera bientôt disponible sur ESI !

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