Entretien exclusif avec Joseph Kosinski, réalisateur de Tron l’héritage - Troisième partie
Article Cinéma du Mercredi 13 Avril 2011

Retrouvez la première partie de cet entretien


27 ans après le film original, ce réalisateur issu de monde de la pub s’empare des personnages et du monde virtuel de Tron, et propose une suite ambitieuse et spectaculaire.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Avez-vous le souvenir d’une journée de tournage particulièrement frustrante, et d’un moment de joie mémorable ?

Oh oui : le jour où nous avons filmé l’arrivée de Sam dans le monde virtuel, et plus particulièrement la scène où l’on voit les quatre sirènes émerger des murs puis se diriger vers lui pour découper ses vêtements, puis créer sa tenue de combat. Cette séquence a été la plus frustrante de toutes à réaliser parce qu’il fallait que les quatre sirènes aient exactement la même apparence. Je crois qu’il a fallu attendre plus de six heures pour que les filles soient enfin prêtes…

Six heures ! Pourquoi était-ce si long ?

Parce que leurs tenues sont extrêmement ajustées. Il leur a fallu plusieurs heures pour les enfiler, couche par couche, élément par élément, puis il a fallu les maquiller et les coiffer chacune comme des top models. Chaque sirène porte de très hauts talons qui allongent sa silhouette. Il fallait qu’elles marchent toutes au même rythme, selon une chorégraphie très précise, car je les filmais en plan large pour les montrer en train d’agir comme des machines, en parfait synchronisme. Et marcher avec des talons si hauts sur des éléments de décor très lisses, ce n’est pas évident…Je me souviens que les journées passées sur cette scène ont duré à chaque fois une bonne vingtaine d’heures. Passer d’un petit bout de scène à l’autre prenait un temps interminable. Nous étions tous exténués au moment où nous avons enfin disposé de toutes les pièces du puzzle ! Heureusement, les moments de joie ont été plus nombreux. Assister aux performances de Jeff Bridges était formidable. J’étais admiratif de le voir apporter tant de nuances différentes à chacune de ses interprétations. Il m’a ému aux larmes pendant le tournage de la scène où on le découvre dans son refuge, lorsqu’il retrouve son fils qu’il n’a pas vu depuis si longtemps. On comprend que Flynn a du faire preuve d’une terrible maîtrise pour ne pas devenir fou, mais que cette épreuve l’a fragilisé, déstabilisé. Il m’a bluffé aussi dans sa manière d’exprimer le côté synthétique de Clu 2.0. Jeff avait constamment des idées géniales. Pour moi, c’était encore plus plaisant de réaliser ces scènes-là, car ce décor était 100% réel, et je n’avais donc à gérer aucun problème lié à la technique, aux fond bleus. C’était un pur plaisir de mise en scène. Voir Michael Sheen créer le personnage excentrique de Castor, le patron de la boîte de nuit End of the line, était aussi un grand moment…Et je garde aussi un très beau souvenir du jour où nous avons montré les premières scènes terminées du film au Comicon. Quand vous sortez de la salle de montage obscure sur laquelle vous travaillez jour et nuit sur la post-production de votre film, il n’y a rien de plus agréable que d’en présenter des petits bouts à 7000 personnes qui sont si enthousiastes qu’elles applaudissent à tout rompre. Cela fait un bien fou !

Vous évoquiez le décor du refuge que le vrai Flynn, prisonnier du monde virtuel, s’est construit pour échapper à Clu 2.0. Quand nous avons vu des extraits de cette séquence, ce matin, nous avons été frappés par une certaine ressemblance avec le décor final de 2001, l’odyssée de l’espace, lorsque l’astronaute Bowman se retrouve dans un décor puisé dans son imagination par les extraterrestres qui l’ont recueilli, juste avant d’être métamorphosé par eux en vieillard, puis en « enfant des étoiles ». Il s’agit d’un salon aux murs et au sol lumineux, meublés d’accessoires de style Louis XV. Dans le repaire de Flynn, on retrouve le sol blanc lumineux, les meubles de style ancien, et si l’on pousse l’observation plus loin, dans les formations minérales noires qui tracent des diagonales, on pourrait retrouver aussi plusieurs monolithes !

Oui, je dois dire que 2001 est l’un de mes films préférés. Il m’a probablement influencé. J’aimais beaucoup l’idée que la lumière jaillisse du sol. C’est d’ailleurs une constante de Tron l’héritage  : dans la plupart des décors, l’éclairage vient du bas, ce qui donne au film un aspect totalement à part. Etant donné que l’énergie qui anime toutes les choses de ce monde provient du réseau, qui forme une sorte de grille horizontale, il était logique que l’on puisse voir cette énergie matérialisée ainsi, par la lumière issue du sol.

Au moment où nous parlons, vous travaillez sur la post-production du film, mais également sur le DVD et le Blu-Ray à venir, comme c’est maintenant l’usage. Participez-vous à la création des bonus de ces éditions vidéo ?

Oui, et je vais enregistrer un commentaire sur la création du film, dans lequel je parlerai aussi de la conception de la séquence-test qui a constitué le point de départ du projet.

Quelles sont les scènes coupées que nous allons découvrir dans les bonus vidéo ?

Je ne le sais pas encore, parce que nous n’avons pas filmé beaucoup de scènes dont nous n’étions pas sûrs à 100% pendant le tournage. Au stade actuel de la postproduction du film, nous n’avons donc éliminé que peu de choses. Ce sont principalement des petits moments retirés pour écouter le début ou la fin d’une scène de combat, ou pour éliminer des détails inutiles, ou des transitions qui ralentissent le rythme du film. Il y a aussi des redondances dont on ne se rend compte qu’une fois que le film est presque finalisé. J’ai déjà des petites idées sur ce qu’il nous reste à couper, mais je ne peux pas vous en parler sans révéler des surprises du film. Quoi qu’il en soit, je suis sûr que nous en trouverons des coupes intéressantes que nous joindrons aux bonus.

Pensez-vous que le film va plaire aux passionnés de jeux vidéo ? Avez-vous pensé aussi à eux en le réalisant ?

J’ai souvent joué avec des jeux vidéo et j’aime beaucoup cela. Mais il y a une différence énorme entre un jeu vidéo et un film : un film est fait pour être découvert en salles, au milieu d’un public avec lequel on partage une expérience, et des émotions très fortes, qui vont du rire aux larmes. C’est cette communion avec des centaines d’autres personnes qui rend la découverte du film unique. Un jeu, lui, c’est une expérience que l’on vit seul dans la plupart des cas, ou en jouant avec un ou deux amis. Ou avec des inconnus, en réseau. Cela n’a strictement rien à voir. C’est la raison pour laquelle nous avons passé tellement de temps à développer une histoire solide, capable de captiver et d’émouvoir les spectateurs, qu’il s’agisse de fans de jeux vidéo ou pas. Je me souviens d’une phrase qu’à prononcée un grand concepteur de jeux vidéo nommé Neil Young, et qui m’avait frappé : « Le jour où je créerai un jeu vidéo qui soit capable de faire pleurer quelqu’un, je crois que je pourrai prendre ma retraite ! » C’est une façon saisissante d’exprimer la supériorité narrative du cinéma sur les jeux vidéo. J’espère que les jeunes spectateurs vont être séduits par l’aspect créatif du film, par ce monde que nous avons conçu, et auront envie de créer eux aussi des univers par le biais du dessin, de la 3D ou de l’écriture. Pour citer mon exemple personnel, les films que j’ai vus pendant mon enfance ont eu une influence énorme sur moi. Ils m’ont donné envie de devenir cinéaste.

La suite de cet entretien sera bientôt disponible sur ESI !

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