Entretien exclusif avec Eddy Kitsis & Adam Horowitz, les scénaristes de Tron l’héritage - Seconde Partie
Article Cinéma du Vendredi 22 Avril 2011

Retrouvez la première partie de cet entretien


Les auteurs du scénario de Tron l’héritage nous racontent le développement de cette nouvelle saga.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Avez-vous été totalement libres de créer l’histoire que vous vouliez, ou le studio avait-il en stock des scripts développés autour d’une suite de Tron entre 1982 et aujourd’hui, dont il aimait certains concepts ?

Adam Horowitz : Je suis sûr que Disney doit avoir en stock des propositions de suites de Tron, sous la forme de traitements et sans doute de scripts, mais nous avons eu la possibilité d’aborder ce travail en étant complètement libres.

Vous n’avez donc lu aucune de ces tentatives précédentes ?

Eddy Kitsis: Non. Lors de notre première réunion, nous avons rencontré Bringham Teller, qui est un des dirigeants de Disney, et un homme fantastique. Il nous a dit « Cela fait déjà un bon moment que nous essayons de trouver le moyen de construire une suite solide à Tron. Et pour le moment, nous n’y sommes pas parvenus. Voulez-vous nous faire une proposition ? ». Imaginez notre réaction quand il nous a dit cela. C’était comme si l’on proposait à un fan des Rolling Stones de venir remplacer le bassiste au sein du groupe, pour un concert ! Nous en avons eu des frissons ! Après avoir dit oui, plusieurs fois de suite (rires), nous avons réfléchi à la meilleure manière de procéder, Adam et moi. Etant donné que nous venions de la télévision, et que notre expérience professionnelle se bornait à avoir écrit des épisodes de Lost, nous nous sommes dits que si Disney était venus chercher deux jeunes types de la télé, ce n’était pas pour aborder le film d’une manière classique. Nous avons donc décidé d’écrire exactement la suite de Tron que nous avions envie de voir, en tant que fans, sans nous soucier de ce que pourrait coûter le film, ni des problèmes techniques que la transposition en images de nos idées poseraient. Après avoir écrit un premier traitement, nous sommes allés voir les producteurs exécutifs Sean Bailey et Justin Springer, et nous leur avons pitché nos idées. Dès ce premier rendez-vous, nous leur avons présenté le concept de l’intrigue développée autour du père et du fils qui veut le retrouver, ainsi que l’idée du double maléfique de Kevin Flynn.

Quels sont les mots que vous avez utilisés pour les convaincre ?

Adam Horowitz : Je crois que nous avons dit : « Kevin Flynn a disparu. Son fils Sam croit qu’il l’a abandonné. Quelque chose se passe et Sam se retrouve projeté dans le monde virtuel, et y retrouve son père. Mais leur ennemi commun sera un clone de Flynn qui a l’aspect de Jeff Bridges à l’age de 35 ans. » Voilà les grandes lignes de notre pitch. Il y avait quelques détails en plus, bien sûr, mais ce sont ces bases-là qui ont convaincu nos interlocuteurs.

Eddy Kitsis : Sean Bailey nous a tout de suite dit que le réalisateur auquel il pensait depuis le début pour diriger la suite de Tron était Joseph Kosinski. Nous avons alors regardé les spots publicitaires qu’il avait conçus et mis en scène sur son site web, et nous avons été sidérés par l’originalité de ses idées et par son talent visuel unique. C’étaient des films absolument étonnants. Sean nous a dit « Nous n’allons pas suivre le processus habituel qui consiste à faire travailler les scénaristes d’abord de leur côté, puis de livrer le script au réalisateur pour qu’il y apporte ses modifications. Je vous propose que nous nous réunissions tous autour d’une table pour parler ensemble de nos envies. » C’est donc ici, dans les locaux de Digital Domain, il y a trois ans, que nous nous sommes tous réunis pour échanger nos points de vue.

Quelles sont les premières questions que vous vous êtes posés ?

Eddy Kitsis : Nous nous sommes d’abord demandés comment le monde virtuel, le réseau informatique créé par Flynn, avait évolué. Et ensuite, pendant trois ans, nous avons développé ce monde, créé sa mythologie, puis développé l’histoire.

Adam Horowitz : Le petit groupe que nous formions a tout de suite bien fonctionné. Nous sommes mêmes partis travailler tous ensemble à Palm Springs pendant plusieurs jours, pour nous isoler et nous concentrer sur les bases de l’histoire. A l’issue de ce séjour, nous avons établi un premier traitement.

Eddy Kitsis : C’était un processus très agréable. Et ce brainstorming nous a permis du figer l’histoire de ce qui s’est passé dans le réseau, histoire que nous racontons dans le film. Après cela, nous sommes passés à l’écriture du script.

Quelle a été l’implication de Steven Lisberger, le créateur de Tron, dans ce processus créatif ?

Eddy Kitsis : Pour vous répondre, je vais vous dire comment nous avons tous surnommé Steven Lisberger : Obi-Wan ! Pendant tout le développement de l’histoire, il a toujours fait preuve d’une grande ouverture d’esprit, et nous a constamment encouragés. Etant donné que Adam et moi sommes des fans de Tron, imaginez comme nous étions impressionnés à l’idée d’aller « pitcher » nos idées pour la suite de Tron à l’homme qui a écrit et réalisé ce film ! Si, après nous avoir écouté, il avait dit « Ça ne fonctionne pas. Clu 2.0 ne devrait pas se comporter ainsi. », nous aurions été carbonisés, anéantis, morts !

Adam Horowitz : A chaque étape du processus, quel que soit le travail que nous lui présentions, que ce soit un résumé, un début de traitement ou une première ébauche de script, Steven a agi comme un guide bienveillant, comme un parrain toujours prêt à nous donner de précieux conseils.

Eddy Kitsis : il a toujours agi de la manière plus gentille qui soit avec nous, et nous a apporté un soutien permanent, souvent en réagissant quotidiennement à nos idées. Adam, Steven et moi nous avons fini par nous surnommer « L’équipe du réseau », car nous formons un vrai trio !

Avez-vous cependant des exemples précis d’éléments qu’il vous a dissuadé d’introduire dans l’histoire, ou de détails sur lesquels il n’était pas d’accord ?

Adam Horowitz : Steven ne nous a jamais dit « Vous ne pouvez pas faire ceci ou cela. » Ce n’est pas quelqu’un de négatif. Quand nous lui exposions une idée, il disait plutôt « Ça me plaît. Et vous saviez ce que vous pourriez faire aussi ? » avant de nos donner ses conseils. Il nous aidait à construire, à développer ce que nous avions établi.

Eddy Kitsis : Bien souvent, quand nous lui racontions une idée, il nous expliquait avec une grande justesse le sens caché de la scène, auquel nous n’avions pas pensé, et ses implications dans l’univers de Tron. Il nous disait « Je crois que le thème que vous abordez là, est celui-ci. » Et Adam et moi nous nous regardions en nous disant « Mais c’est vrai ! Il a raison ! » Steven a toujours agi comme un maître qui nous montrait la voie, par des conseils lumineux, et des paroles encourageantes et positives. Grâce à cette attitude formidable, ce sont toujours les meilleures idées qui se sont retrouvées dans le script, à la satisfaction générale.

Nous savons que le personnage d’Alan Bradley, incarné par Bruce Boxleitner, revient dans le film, mais est-ce que son alter-ego du monde virtuel, Tron, revient lui aussi dans ce nouvel épisode ?

Adam Horowitz : Le titre du film étant Tron l’héritage , nous ne pouvions pas envisager de ne pas faire revenir Tron, d’une manière ou d’une autre…

Eddy Kitsis : Oui, vous pouvez vous attendre à le revoir !

Pouvez-vous décrire les motivations des nouveaux méchants du film, c’est à dire Clu 2.0, son homme de main Jarvis, et ses autres complices ?

Adam Horowitz : Clu 2.0 est un programme créé par Kevin Flynn pour accomplir certaines tâches dans le réseau, mais à présent, l’existence même de Flynn pose un problème à Clu, qui décide de se retourner contre son créateur, comme le monstre de Frankenstein.

Eddy Kitsis : En un sens, la démarche idéaliste de Flynn ressemble à celle du docteur Frankenstein, qui voulait construire « un homme meilleur ». Mais qu’est-ce que cela signifie, au fond ? Et que deviennent les grands idéaux lorsque les hommes tentent de les mettre en pratique. L’histoire a maintes fois prouvé que l’enfer est pavé de bonnes intentions…Ce qui nous plaisait beaucoup dans le Tron de Steven Lisberger, c’est que son histoire est imprégnée des rêves positifs des années 60, des travaux de tous ces gens qui voulaient changer le monde grâce à une technologie à visage humain. Dans le cas de Flynn, en confiant à un programme, Clu 2.0, le soin d’accomplir cette tâche, il commet l’erreur de ne pas penser à toutes les ramifications de cet ordre, à toutes les conséquences qu’il pourrait engendrer. Clu est l’un de nos personnages favoris, car sa destinée est tragique : son « père », Flynn, lui a dit de faire quelque chose qu’il a exécuté à la perfection, et il ne comprend pas pourquoi Flynn n’est pas content qu’il poursuive dans la même voie. Il ne comprend pas qu’il ne l’aime plus. Clu est incapable de réaliser que pour mener réellement sa tâche à bien, il aurait eu besoin de prendre du recul, et de se rendre compte par lui-même qu’il était allé trop loin, et qu’il fallait agir différemment. Sa mission consistait à créer un système parfait, mais une fois encore qu’est-ce que « parfait » veut réellement dire ? Pour nous, ce qui rend Clu intéressant, c’est qu’il n’agit pas comme un méchant caricatural, qui est là d’emblée pour faire le mal. Bien au contraire, il est sincèrement persuadé d’agir pour le mieux, et perçoit l’hostilité de son créateur comme la pire des injustices. Par ce biais-là aussi, nous traitons d’un autre aspect de la paternité, qui est le thème central du film.

A l’époque où il était encore un jeune animateur du studio Disney, travaillant avec un crayon et du papier, John Lasseter a ressenti le choc de sa vie en découvrant les premières images de Tron, et il a souvent déclaré que ce film qui lui a donné l’envie de consacrer le reste de sa carrière à l’animation sur ordinateur. Il y a quelques temps, Disney a montré un pré-montage de Tron l’héritage à Lasseter et à son équipe de scénaristes-réalisateurs de Pixar, en leur demandant de rédiger des notes de commentaires. Comment ont-ils réagi et quelles ont été les modifications qu’ils ont suggéré par rapport au film et à votre script ?

Eddy Kitsis : Oui, il est exact que nous avons eu l’occasion de montrer une version non achevée du film à Pixar, et c’était un grand moment pour nous. En tant que scénaristes, Adam et moi sommes des grands fans de l’équipe de Pixar. Ce sont nos idoles ! Les Beatles du script ! (rires) John Lasseter, Brad Bird, Andrew Stanton, Pete Docter et toute la « dream team » du studio sont des artistes qui ont un talent fou. C’est un peu comme si nous étions de jeunes musiciens en train d’enregistrer un album dans notre garage, et que les Beatles arrivent en disant « Eh, est-ce que ça vous ennuierait si on écoutait ce que vous faites ? Et si on vous accompagnait à la guitare ? »

Adam Horowitz : C’était formidable de pouvoir bénéficier de leurs conseils et d’écouter leur avis.

Pouvez-vous nous parler de leurs suggestions ?

Eddy Kitsis : C’est un peu compliqué de vous donner des exemples précis, car nous avons eu tellement de réunions à propos de l’histoire puis du film, puis du tournage, et du pré-montage que tout était déjà très développé quand Pixar nous a fait parvenir ses remarques. Pendant le développement de leurs films, les membres de l’équipe de Pixar se montrent mutuellement leurs projets en cours. Chacun réagit en visionnant le travail de ses collègues, et lui prodigue des conseils pour l’aider à mettre en valeur les thèmes les plus importants de l’histoire, et à améliorer les moments forts du film. Ils ont procédé de même avec nous, en nous donnant des conseils qui nous ont permis d’amplifier l’impact de certains moments-clé.

Adam Horowitz : Au cours de leurs suggestions, ils nous ont également incités à développer des versions légèrement différentes de certaines scènes, soit par le biais du montage, soit en apportant des petites modifications aux dialogues. Nous avons eu beaucoup de chance de pouvoir bénéficier de leur expertise.

La suite de cet entretien sera bientôt disponible sur ESI !

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