[Flashback] Entretien exclusif avec Steven Lisberger, scénariste et réalisateur de Tron et producteur de Tron l’héritage
Article Cinéma du Jeudi 08 Novembre 2018

Le créateur de l’univers de Tron évoque ses souvenirs du film original et nous raconte son implication dans Tron l’héritage .

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Steven Lisberger a fait ses débuts en tant qu’animateur d’un studio de création publicitaire dans les années 70. A partir de 1975, il réalise plusieurs spots animés avec des personnages réels intégrés à des environnements de jeux vidéo. L’un de ces personnages s’appelle déjà « Tron », et l’idée d’un long métrage consacré à ses aventures naît dans l’esprit de Lisberger. En 1977, enthousiasmé par Star Wars, il décide de se lancer dans un projet de dessin animé destiné à financer son idée de SF. Il s’associe avec le producteur Donald Kushner pour réaliser une parodie des jeux olympiques dont les héros sont des animaux : Animalympics.   Mais en 1980, l’Amérique boycotte les jeux olympiques de Moscou. C’est une catastrophe pour Lisberger et Kushner, qui ne parviennent pas à vendre Animalympics. Ils sollicitent Disney, qui est enthousiasmé par leurs idées, et tout particulièrement par Tron. C’est ainsi que commence une aventure que Steven Lisberger a eu la gentillesse d’évoquer pour nous, en 2010, à l’occasion de la présentation de Tron l’héritage



Entretien avec Steven Lisberger

Le marché des jeux vidéo prend de plus en plus d’importance par rapport à celui du cinéma. Est-ce que cette concurrence vous a poussé à concevoir Tron l’héritage comme une démonstration de tout ce que le cinéma a encore à offrir par rapport aux divertissements interactifs qui passionnent les nouvelles générations ?


La situation était inverse à l’époque du premier Tron. Quand j’ai écrit et réalisé le film, le marché des jeux vidéo était minuscule. Il n’y avait que peu de gens qui jouaient sur leurs ordinateurs personnels. En revanche, la sortie du jeu vidéo Tron, avec lequel on jouait dans les arcades, a été un atout formidable pour la suite de la carrière du film. Lorsqu’il est sorti en salles, il a connu un succès correct, mais sans plus. Le film n’a même pas été nominé aux Oscars des meilleurs effets visuels cette année-là, parce que les gens considéraient alors qu’utiliser un ordinateur pour faire des images, c’était tricher ! (rires) En revanche, dès que Tron a été distribué en cassettes VHS, toute une génération de gens qui avaient adoré jouer avec la borne d’arcade ont voulu voir le film dont le jeu était inspiré, et cela a rapporté des dizaines de millions de dollars aux studios Disney ! Et par la suite, le film s’est également bien vendu en DVD. L’ironie de la chose, c’est que je n’ai absolument pas participé à la conception du jeu, parce que j’étais trop accaparé par la réalisation du film. En ce qui concerne Tron l’héritage et le contexte actuel, je crois que les films et leurs transpositions en jeu ont tout intérêt à combiner leurs forces pour séduire le public. C’est inévitable, et je crois que Tron se situe exactement au point de convergence de ces deux formes de divertissement. Chacune peut bénéficier des qualités de l’autre. Je crois que les jeux doivent s’inspirer des qualités narratives et du développement des personnages d’un script de cinéma, et que la richesse visuelle des jeux vidéo peut servir de recherche et de développement visuel pour la mise au point de nouveaux films. Ces deux secteurs du marché du divertissement se sont affrontés pendant trop longtemps en restant chacun sur leur terrain de prédilection. Aujourd’hui, le public et la technique sont prêts pour offrir de véritables films interactifs, de véritables jeux avec une intensité dramatique. Tous les artistes qui ont travaillé sur le développement graphique de Tron l’héritage ont utilisé des outils numériques. D’emblée, nous avons tenu à communiquer tous ces éléments de designs aux concepteurs du jeu Tron, pour nous assurer qu’ils seraient en mesure de restituer parfaitement l’esthétique et le ton du film.

Selon vous, comment les enfants de 2010 vont-ils réagir en découvrant le monde de Tron?

J’espère qu’ils aimeront toute la mythologie de cet univers et s’y sentiront à l’aise. Nous avons conçu le film pour eux, en quelque sorte, car cette génération qui arrive sera contrainte de travailler avec des ordinateurs pendant toute son existence. En grandissant, ces enfants vont se servir encore plus de ces machines pendant leur temps de travail, pendant leurs moments de loisirs, et pendant qu’ils communiqueront avec leur famille ou leurs amis. Et tout cela ce fera de manière de plus en plus discrète et légère, grâce au développement de technologies qui sont encore inconcevables aujourd’hui. Pour nous, il était important que les valeurs humaines constituent l’essentiel de l’histoire que nous allions raconter dans ce nouvel épisode de Tron, car le danger qui menace les générations futures, c’est de se retrouver dans un monde saturé de technologies fabuleuses, mais littéralement dénué de toute signification. Le danger qui les menace, c’est de perdre de vue la vraie vie, les liens familiaux et amicaux, et de basculer dans un consumérisme absurde. Le mode de vie moderne a tendance à fragmenter nos existences, à nous contraindre, faute de temps, à travailler, manger, se divertir seul ou en très petits groupes, souvent au détriment du temps que nous pourrions passer avec les gens qui nous sont chers. C’est la raison pour laquelle nous aimons tant aller au cinéma en famille, et nous retrouver au sein d’une foule de spectateurs. Nous sentons alors les émotions du film déferler dans la salle et nous toucher encore plus. Songez à l’impact d’un film comique dans un cinéma où des centaines de personnes rient en même temps. C’est extraordinaire. Ce partage est un sentiment qui nous rapproche tous, en tant qu’êtres humains doués d’émotions.

Avez-vous été surpris de voir à quel point votre film a frappé tous les membres de l’équipe de Tron l’héritage , des acteurs aux producteurs en passant par le réalisateur et les musiciens ?

Oui, cela a été extrêmement gratifiant. Et même stupéfiant, car certains de mes collègues n’avaient que trois ou quatre ans quand le film est sorti ! Et que dire de la réaction du groupe français Daft Punk, qui a été inspiré par la musique électronique de Tron composée par Wendy Carlos, et par l’aspect visuel du film, et qui s’est battu pour convaincre Disney de le choisir pour créer la musique de Tron l’héritage  ! C’est une histoire incroyable. Ils ont bouclé ainsi la boucle de leur inspiration. Je dois dire que la suite de Tron a mis bien plus longtemps que je ne l’imaginais à voir le jour, mais elle prouve que certaines bonnes choses mettent du temps à se produire. Mais peu importe les années écoulées. C’est un sentiment merveilleux de voir son travail accueilli ainsi par la nouvelle génération. Elle a réservé un meilleur accueil au film original que ne l’avait fait ma propre génération, pour laquelle le monde des ordinateurs était froid, distant et quasi-incompréhensible. Actuellement, je me sens beaucoup plus proche des gens de cette génération et de leur travail que des gens de mon âge !

Le public actuel est accoutumé à voir des films de plus en plus spectaculaires. Il est donc devenu de plus en plus difficile à satisfaire…

Oui, il veut être satisfait à tous les points de vue, dans toutes les catégories. Il veut des effets visuels époustouflants, il veut de la musique qui le fasse rêver, il veut être ému, et il veut que le film ne ressemble à aucun autre. Je crois qu’avec Tron l’héritage , nous disposons de sérieux atouts dans tous ces domaines.

Revenons au Tron originel. Comment avez-vous été accueilli par les studios Disney une fois le projet accepté, au début des années 80 ?

Quand nous sommes arrivés chez Disney, nous avions l’impression d’entrer dans un lieu magique, mythique. Notre émerveillement était presque enfantin. Mais si nous côtoyions les employés et les artistes du studio, nous n’arrivions pas vraiment à nous intégrer à eux, pour plusieurs raisons. D’abord parce que nous travaillions comme des fous et non pas comme des employés salariés, qui se lèvent de leur chaise à 17h00 pile. Le vendredi soir, le studio se vidait, mais nous, nous restions là pour travailler dur pendant le week end, jusque tard dans la nuit. Nous savions que nous avions une chance exceptionnelle d’être soutenus par le studio, et nous voulions réussir à réaliser notre film, et a dépasser les espérances de ceux qui nous avaient fait confiance. La seconde raison pour laquelle nous étions tenus à l’écart, nous ne l’avions comprise que bien plus tard : pour tous les animateurs traditionnels, nous représentions l’arrivée des forces du mal, puisque nous voulions créer des séquences en utilisant des ordinateurs ! Chez Disney, le sanctuaire de l’animation dessinée à la main, c’était presque un sacrilège de tenter de faire une telle chose. Les gens imaginaient que nous allions peu à peu remplacer les animateurs par des machines !

Est-ce que cet accueil hostile d’une partie des artistes du studio vous a miné ?

Non, pas vraiment, parce que nous savions qu’il s’agissait de préjugés absurdes. Tant que nous étions soutenus par les patrons du studio, les états d’âme de certains animateurs nous importaient peu. Notre seule crainte était que des réflexions négatives finissent par influencer la direction. Pendant le tournage, puis pendant la post-production du film, on faisait courir le bruit que le budget du film allait exploser, que nous n’arriverions pas à terminer Tron à temps, que les spectateurs ne supporteraient pas l’aspect des images de synthèse, etc. Heureusement, la direction voulait produire des films radicalement différents de l’image traditionnelle de Disney, car les spectateurs adolescents fuyaient leurs productions, et cela nous a énormément aidé. Sans le succès phénoménal de Star Wars, Disney ne se serait certainement pas lancé dans un projet comme Tron.

La sortie du film a souffert de certaines polémiques qui semblent bien dépassées aujourd’hui : on vous a notamment accusé de faire l’apologie des jeux vidéo, auxquels on reprochait de décerveler les enfants…

Oui, chacun sait que les dangers des jeux vidéo sont bien supérieurs à ceux de la pollution, des opérations frauduleuses des banquiers malhonnêtes, des changements climatiques et de la prolifération des armes nucléaires ! (rires) Franchement, on a vu pire dans le domaine des grandes menaces du troisième millénaire…Personne à l’époque n’a eu l’idée de critiquer le temps passé par des adultes supposés responsables devant des émissions de télévision débiles. Non : il fallait se focaliser sur les jeux vidéo, qui venaient tout juste de toucher le grand public. Je me souviens que j’étais souvent contraint de faire remarquer aux journalistes qu’un enfant qui joue à un jeu vidéo même très simple est actif, tandis qu’un téléspectateur est passif. Dès les années 80, on a pu se rendre compte que certains enfants autistes faisaient de nets progrès quand on leur donnait la possibilité de jouer à un jeu vidéo qui les obligeait à réagir…

Etiez-vous un fan de jeux vidéo, à l’époque de Tron? L’êtes-vous toujours ?

Je l’étais et le je reste ! En 27 ans, les jeux vidéo ont fait trois fois plus de progrès que le cinéma en 50 ans. Rendez-vous compte du chemin accompli depuis Pong, et les casse-briques des origines. C’est phénoménal. Les jeux vidéo actuels permettent d’avoir un avant-goût de ce que pourra être le cinéma interactif : un divertissement aux images hyperréalistes, dans lequel on circulera librement. Le spectateur agira à sa guise, tout en étant pris dans la trame d’une histoire très vaste, dont les principales séquences et les rebondissements émotionnels seront scénarisés. Là, il traversera l’écran, car il deviendra le héros de cette histoire. Imaginez-vous dans votre domicile, face à un écran géant, plongé dans un univers en relief interactif, en train de vivre une telle expérience. Ce sera fabuleux.

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