par Jack Kao » Mer 10 Fév 2010 - 6:01
Bonjour à tous,
Je m'inscris uniquement pour répondre aux commentaires suscités par la vidéo opposant Ferenczi à Bordas. Précisons d'emblée que je ne suis pas fan de Télérama et que je trouve Ferenczi souvent agaçant dans sa manière de s'exprimer, avec son air un peu constipé et cette façon de toujours prendre la mouche lorsqu'on n'est pas d'accord avec lui. Je ne suis donc pas là pour prendre sa défense mais pour battre en brèche certains clichés et autres idées reçues, qui se répètent inlassablement, d'années en années et de forums en forums.
Je précise encore que je parlerai pas de la critique écrite de Ferenczi, mais seulement de ce qu'il dit lors du débat filmé.
D'une part, il est facile et très courant de taper sur un critique sans le connaître et en le prenant de haut, et souvent en déformant sa pensée. Laurent2, "bricoler" n'est pas synonyme de mettre en scène, désolé (tout comme "réaliser" d'ailleurs). Je vois malheureusement de plus en plus de gens qui utilisent des mots sans chercher à connaître leur signification véritable, en s'en remettant seulement aux idées reçues (et cela, c'est aussi la faute de journalistes incompétents, qui diffusent ces idées reçues). Facile de prendre un journaliste pour un con, de dire qu'il n'a rien compris, lorsqu'on ne comprend pas soi-même ce qu'il veut dire.
D'autre part, il faut arrêter de toujours tout mal interpréter. Un critique n'aime pas Avatar, donc FORCEMENT il est snob, forcément il méprise le peuple, etc. C'est évidemment faux (sauf peut-être pour quelques cas rarissimes), pour un millier de raisons. Je ne donnerai qu'une preuve, qui suffit à détruire ce genre d'argument bêta : beaucoup de journaux réputé -à tort- snobs (les Inrocks par exemple) ont aimé et défendu Avatar. De la même façon, il suffit de connaître un peu Ferenczi pour voir qu'il ne cherche absolument pas à s'opposer systématiquement au goût dominant. CQFD
[Sinon, on est d'accord qu'il y a des gens qui méprisent la culture populaire, mais ces gens-là n'écrivent pas dans la presse]
Ce que dit Ferenczi sur le trop grand nombre de gens qui sont allés voir Avatar peut paraître choquant. C'est plus maladroit à mon sens. Mais je comprends ce qu'il veut dire. L'uniformisation mondiale du goût est en effet dangereuse, à la fois économiquement et esthétiquement. Si certains d'entre vous aiment le cinéma de Hong Kong, par exemple, ils savent bien que celui-ci était meilleur il y a encore 15 ans, quand il ne cherchait pas à s'adresser au monde entier mais d'abord aux Chinois. En voulant plaire au plus grand nombre, il a perdu une partie de son charme (bien sûr ça se discute, mais nous sommes beaucoup à le penser) et de son étrangeté si plaisante.
Je ne comprends pas pourquoi l'uniformisation en matière de cinéma ne choque pas, alors qu'elle choquerait en matière d'habillement ou de nourriture.
BILL, j'ai l'impression d'enfoncer des portes ouvertes en disant cela, mais tu dois savoir qu'il n'y a pas de vérités générales. Tu considères que certains films sont proches de la perfection, évidemment puisque tu penses (comme tout le monde) avoir bon goût, mais qu'est-ce qui t'autorise à dire cela? Evidemment, je vois venir l'argument : des millions et des millions de gens ont vu le film, donc il est objectivement bon. C'est faux, d'une part parce que parmi ces millions de personnes un nombre non négligeable n'a pas aimé, d'autre part parce que ça ne prouve rien. Je suis sûr que vous vous êtes tous déjà retrouvé dans une situation où vous n'aimiez pas quelque chose que tout le monde aime. Alors, qui a tort, qui a raison?
Par ailleurs, je suis d'accord pour dire que démolir un film sur un détail peut être facile. Cela dit, il y a des détails qui tuent.
L'exemple de la Joconde, Laurent2, est très mal venu. Et encore une fois tu ridiculises ton "adversaire" en déformant son point de vue. Je m'explique. Pourquoi les gens vont voir la Joconde? Parce que c'est le meilleur tableau du monde? Qui a dit ça? BILL, tu dis que ce tableau a quelque chose de très particulier. Je veux bien. Mais tous les tableaux ont leur petite histoire, cela ne garantit rien quant à leur valeur. Non, si les gens vont voir la Joconde, c'est parce que tout le monde dit qu'il faut aller voir la Joconde, parce que ce tableau est devenu le symbole de l'art, ou de la peinture, et ce n'est pas près de changer. C'est donc bien du formatage, et oui, c'est regrettable. De ce point de vue, la remarque d'ohbewan est très juste : tout autour de la Joconde, il y a tout un tas de petits tableaux qui valent le coup d'oeil et que presque personne ne regarde! Tu peux être certain que si c'est l'un de ces petits tableaux qu'on avait porté aux nues, personne ne regarderait la Joconde!
Cela ne veut évidemment pas dire qu'il faut snober la Joconde, ou même que ce tableau est dénué de valeur. Je cherche juste à critique ce raisonnement facile, selon lequel la Joconde est le meilleur tableau du monde parce que c'est celui qui a le plus de succès. Non. C'est celui qui a le plus de succès parce qu'il est réputé pour être le meilleur au monde. Pourquoi est-il réputé à ce point? Très honnêtement, je ne sais pas, il faudrait s'informer, en retracer l'histoire.
Maintenant je voudrais donner mon avis sur la vidéo :
D'abord, je suis d'accord pour relever l'incompétence totale de la présentatrice, qui pose les questions les plus bêtes qui soient. Mais elle n'a pas le cul entre deux haises, on sent qu'elle a aimé le film, et qu'elle est clairement du côté de Bordas. Il faut voir comme elle résume le point de vue de Ferenczi : "un succès, c'est forcément suspect".
J'aime bien aussi le "c'est un génie?" : donc plus on fait d'argent, plus on est génial. Belle logique. Alors dans ce cas-là Diam's, par exemple, c'est mieux que tel virtuose du piano. Waouh.
Plus la question faussement naïve : "pourquoi les films d'art et d'essai n'ont-ils pas de succès planétaire?". Je dis "faussement naïve", parce qu'on voit bien qu'elle croit détenir la réponse, quelque chose comme "parce que ça emmerde les gens", alors que Ferenczi a raison de mettre en avant les conditions de production et de distribution.
Il y a eu en effet, et d'abord, un immense travail de marketing. Bordas parle de bouche à oreille, il a à moitié tort. Pourquoi? Parce que certes, le bouche à oreille existe. Mais il n'aurait pas autant d'effet s'il n'était pas redoublé par l'incroyable matraquage médiatique. Quand tous les jours, vous entendez parler d'Avatar dans les médias, de ce film qui casse la baraque, avec ses effets spéciaux révolutionnaires, et qu'en plus vous en entendez parler chez vous et au bureau, alors oui, Avatar devient LE film à aller voir. Et si on ne va pas le voir, on n'est pas dans le coup, on est ringard ou snob, on ne peut pas prendre part aux discussions. Donc il ne faut surtout pas sous-estimer le matraquage médiatique, cette pression incroyable, et croire seulement et très naïvement dans les vertus du bouche-à-oreille.
Star Wars, "du coup ça a pris un coup de vieux" : une fois de plus la réaction de Ferenczi est juste; qu'est-ce que c'est que ce culte de la nouveauté? Dans 20 ans, on dira aussi qu'Avatar a pris un coup de vieux, on dira qu'il n'est pas si bien que ça, mais qu'il garde une importance historique, parce que c'était le 1er gros film de ce genre. Or c'est nul, ce genre de raisonnement. Ca me fait penser aux gens qui changent de portable tous les six mois pour être à la pointe de la mode. Comme dit l'autre, une oeuvr n'a pas de date de péremption.
Les commentaires de Bordas sur l'absence de propos politique dans Avatar me laissent sans voix. D'autant plus qu'il parle de "mythologie" : alors comme ça, la mythologie n'a rien de politique? Pour moi, c'est l'exemple type du journaliste qui fait mal son travail, parce qu'il diffuse des idées fausses aux spectateurs et auditeurs (sans en avoir conscience évidemment). Aujourd'hui, on croit qu'on a échappé à l'idéologie, on croit aussi que le rêve s'oppose à la réalité (cf. là encore les propos idiots de la présentatrice). Le rêve ne s'oppose pas à la réalité, il en fait partie. Et tout est idéologique, a fortiori un gros blockbuster américain bourré de symboles. Et oui, le cinéma (surtout le cinéma américain) dispense des leçons de vie, il y a d'ailleurs eu un livre récent à ce sujet. La preuve, il suffit de voir l'influence que les films peuvent avoir sur le public. Un film ce n'est pas du rêve, c'est quelque chose de très matériel qui influence les gens. Cette influence peut être consciente ou non, mais elle est réelle. Bordas devrait le comprendre, lui qui dit que plein de gens aimeraient vivre dans le monde du film.
Par ailleurs, comme je le disais, le film est bourré de symboles, qui renvoient surtout à l'histoire de l'Amérique. Et là je suis d'accord avec Ferenczi, il y a quelque chose d'opportuniste, car ces symboles, il n'en fait rien. Ils sont juste là pour qu'on les remarque. Une fois qu'on a dit qu'il y avait des références au massacre des Indiens, au 11 septembre, qu'est-ce qu'on a dit? Rien. Un symbole ne garantit pas l'intelligence d'un film, c'est facile de mettre des symboles.
Enfin, pour finir, qu'on arrête de parler de film écologiste et anti-impérialiste, quand on imagine à quel point il a du polluer et quand on sait comme il a écrasé tous les autres films lors de sa sortie. C'est le type même du film pollueur et impérialiste, quoi qu'on pense de ses qualités intrinsèques.